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avec les hommes qui l’habitent. Dans une œuvre à ce point ardue et complexe, toutes les instructions générales sont insuffisantes. Les circulaires, ces muets et inertes chiffons de papier, sont sans valeur : si elles sont hautaines, comme le furent les premiers documens émanés du nouveau ministère, elles irritent inutilement ceux sur la tête de qui elles viennent fondre ; si elles sont modestes et discrètes, elles courent risque d’être mises de côté avec ce dédaigneux sourire que les gens d’action opposent aux élucubrations du cabinet. En un mot, le pouvoir, pour être respecté, doit être une unité partout présente. Celui qu’a établi le nouveau ministère de l’Algérie répond mal à chacun des termes de cette définition : il est partagé et éloigné.

La véritable solution nous paraîtrait être au contraire de tout réunir sur une même tête et de tout rapprocher du centre. Constituer en Algérie une véritable délégation de l’autorité souveraine, — sous le nom qu’on voudra, vice-royauté, lieutenance-générale, il n’importe, — mais embrassant à titre égal tous les services publics, soit militaires, soit civils, seul principe de toute action et seule source de toute autorité, seule préposée à l’armée, à la justice, aux finances, à l’administration sous des formes diverses, et seule responsable de ces attributions différentes devant le gouvernement de la métropole : telle nous semble être l’unique manière de terminer, en les confondant dans une même personne et en les animant d’un même souffle, la lutte des élémens divers qui mine la prospérité naissante de la colonie. L’homme investi d’un tel pouvoir, quelles que fussent ses qualités personnelles et les habitudes de son passé, ne serait en réalité ni militaire ni civil, car, tenant dans sa main l’un et l’autre instrument, il n’aurait de raison pour employer l’un plutôt que l’autre que les intérêts véritables et le plus prompt achèvement de l’œuvre à accomplir. Il ne verrait ni dans la loi militaire un auxiliaire, ni dans la loi civile une ennemie : toutes deux relèveraient également de lui, et leur lot serait ainsi déterminé par une répartition impartiale. Sous ses ordres, les directeurs de chaque branche formeraient, comme dans les colonies anglaises, un véritable cabinet politique. Avec un tel auxiliaire, il serait parfaitement superflu de constituer à Paris en centralisation au second degré, et de retarder ainsi, par un voyage constant à travers les mers, l’expédition de tous les ordres et la solution de toutes les affaires. Les règles générales de l’administration, la fixation des bornes de la colonie et du chiffre de ses forces militaires, les grandes mesures législatives relatives à l’état des propriétés et des personnes, la nomination des fonctionnaires supérieurs dans chaque service, tels seraient les seuls points sur lesquels devraient porter l’examen et la sanction de l’autorité parisienne. Presque tous pourraient être réglés chaque année de concert avec le chef supérieur de la colonie,