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que par la même monnaie de papier qui existe aujourd’hui, on se heurtera bientôt à de véritables impossibilités.

« Je ne veux pas prévoir les cas de vol, d’incendie ou de désastre accidentel, pour ne pas trop assombrir le tableau ; ce sont cependant des cas possibles, et dont la prudence humaine ne doit pas négliger de tenir compte. »


N’oublions pas que ces titres, déjà au nombre de 7,700,000 de toute nature et de toute origine, sont appelés, si on persiste dans le même système, à plus que doubler jusqu’à l’achèvement du réseau secondaire. Cette considération de la multiplicité infinie des titres et des dangers qu’ils présentent sous la forme au porteur, soit pour les compagnies qui les reçoivent en dépôt, soit pour les propriétaires qui veulent les garder, a plus d’importance qu’on ne l’imagine. D’abord, de quel droit imposer aux compagnies de chemins de fer la garde des titres au porteur qu’on voudra bien leur apporter ? Si les titres sont volés, sur qui pèsera la responsabilité ? La fera-t-on peser sur les administrateurs sous prétexte qu’ils auront manqué de la vigilance nécessaire ? On ne trouvera plus d’administrateurs sérieux pour encourir une telle responsabilité. La fera-t-on peser sur la compagnie, c’est-à-dire sur tous les actionnaires ? Alors on se demande comment l’actionnaire qui aura gardé ses titres chez lui, qui n’aura fait courir aucun risque à la compagnie, pourra être responsable au même degré que celui qui aura déposé ses titres, et parmi ceux qui les auront déposés, si la responsabilité pourra être la même pour celui qui les laissera toujours en dépôt sans donner lieu à aucun maniement et pour celui qui les fera manier sans cesse par des conversions nouvelles. Évidemment il y a là une question des plus délicates ; nous ne savons comment les tribunaux la résoudraient, si elle leur était soumise, mais nous croyons qu’il y a lieu de s’en préoccuper. Et puis cette profusion à l’infini des titres au porteur est-elle ce qu’on peut désirer de mieux pour la sécurité des familles ? Qu’on s’y résigne pour les actions, cela se comprend, l’action est une valeur aléatoire ; le risque qui résulte de la forme au porteur n’est rien à côté de celui qui résulte du fond même du titre : d’ailleurs il est soumis à des mutations fréquentes, c’est une des conditions essentielles du crédit dont il jouit ; la forme au porteur est inhérente à sa constitution même. Il n’en est pas de même de l’obligation. L’obligation est une valeur de placement ; on l’achète pour la garder, et il est quelque peu dangereux de la garder sous la forme au porteur, c’est-à-dire en restant exposé à tous les risques de perte, de vol et d’incendie. Sans doute, en vertu de la loi du 23 juin 1857, on a la faculté de l’échanger contre un titre nominatif ; mais la responsabilité dont on se dégage, on la fait courir à une compagnie, c’est-à-dire à des actionnaires qui, en cas de sinistre,