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admire, comme dans tous les écrits de l’auteur, c’est le caractère éminemment spéculatif de son esprit. Malgré sa fidélité au sens commun, malgré sa défiance raisonnée des hypothèses et des systèmes, il ne cherchait dans la philosophie que la philosophie. La vérité lui plaisait pour elle-même ; il s’inquiétait peu de savoir si elle pouvait plaire, à qui elle pouvait servir. Les conséquences sociales, les traditions d’école, les croyances reçues, les idées de nationalité, toutes ces considérations moyennes qui déterminent les opinions humaines n’altéraient pas la pureté de l’idée qu’il s’était faite de la science, et il y consacrait toutes les forces de son puissant esprit, sans se demander où elle le mènerait, sans se souvenir de ce qu’une théorie fait rarement oublier à une intelligence britannique, l’utilité. C’était là un trait distinctif de l’esprit de Hamilton, un trait rare dans notre siècle et dans son pays. Puis il y joignait cette originalité, qu’au lieu d’imiter la plupart des spéculatifs, qui pensent tout trouver par la contemplation et rien par le savoir, il n’aimait pas à penser à aucune chose sans connaître tout ce qu’on en avait pensé. Son rationalisme cherchait les autorités. Il ne s’embarquait dans la dialectique qu’avec le lest de l’érudition. Il avait une philosophie tout à la fois d’archéologue et de penseur.

On peut dire que sir William Hamilton a eu trois maîtres, Aristote, Reid et Kant. Sa naissance seule peut-être en a fait l’élève de Reid. Un Écossais ne pouvait guère avoir d’autre introducteur dans le temple de la science, et pour peu qu’il eût sa part de ce génie ferme et contenu qui caractérise sa nation, il devait naturellement adopter ces conclusions de bon sens dont Reid a fait les bases du traité d’alliance de la science des habiles avec l’opinion commune. On a vu que Hamilton a encore renchéri sur Reid, en étendant et en fortifiant l’autorité de la conscience, et sa doctrine n’est que celle de son maître, développée et démontrée avec plus de hardiesse et d’exactitude. Ce n’est pas de Reid cependant, c’est d’Aristote qu’il avait pris ce goût et ce talent pour la philosophie scientifique, cette foule de distinctions justes, d’observations profondes, de vues hardies, dont il a fait si heureusement usage pour apprécier, amplifier ou redresser la science un peu maigre du réalisme naturel. C’est l’étude d’Aristote ; et probablement de son immense rôle dans les destinées de la pensée humaine, qui le plongea dans les détails de l’histoire de la philosophie, et ce maître, un des plus dogmatiques qu’il y ait eu, l’aurait peut-être entraîné dans ses voies sans l’influence du criticisme. Rien mieux que l’exemple de Hamilton n’a constaté la liaison, d’abord peu apparente, qui subsiste entre la doctrine de Reid et celle de Kant. Hamilton pense comme Kant sans cesser de conclure comme Reid. C’est Kant qui lui apprend à contrôler sévèrement toutes les hypothèses, même nécessaires, de la