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Il connaissait vaguement les pratiques du connétable avec les ennemis du royaume. Avant qu’il quittât Paris, on lui avait conseillé de ne pas le laisser en France lorsqu’il en sortirait[1]. Il avait vu à Gien d’Escars, l’un des serviteurs alarmés et des complices attiédis du connétable, et il lui avait dit : « Si j’étois aussi soupçonneux que le feu roi Louis XI, j’aurois grande occasion d’entrer en défiance du seigneur connétable, car on m’a rapporté qu’il est curieux d’avoir des nouvelles d’Angleterre, d’Allemagne, d’Espagne, de quoi il pourroit bien se passer[2]. » Il en savait plus qu’il n’en disait. Il croyait que le connétable, dont il avait appris les menées en Savoie, n’était pas sans engagement avec l’étranger, et il prétendit que l’Anglais Jernigam était venu prendre son serment en Bourbonnais. Il ajouta qu’il se proposait lui-même de le voir en y passant, et, après une franche explication, de s’en faire suivre au-delà des Alpes. Sans trahir le connétable, d’Escars intimidé approuva beaucoup le projet qu’avait le roi de ne pas le laisser en France ; mais sur la route même du Bourbonnais, François Ier reçut de bien autres informations.

Matignon et d’Argouges, les deux gentilshommes normands vers lesquels le connétable avait dépêché Lurcy, s’étaient trouvés dans les premiers jours d’août à Vendôme, où Lurcy leur avait donné rendez-vous. Chacun d’eux y était venu suivi de cinq ou six chevaux, croyant que le connétable était de l’expédition d’Italie et voulait les mener avec lui. Au lieu de leur adresser cette invitation, comme ils s’y attendaient, Lurcy les conduisit dans une chambre isolée de l’hôtellerie des Trois-Rois, où ils étaient descendus, et là, après leur avoir fait jurer de ne rien révéler de ce qu’il allait leur dire, il leur parla du mariage convenu du connétable avec la sœur de l’empereur, du voyage de Beaurain, qui était venu conclure ce mariage à Montbrison, des dix mille lansquenets qui devaient entrer par la Bresse dans le royaume, lorsque le roi aurait passé les monts, de l’armée espagnole qui pénétrerait en Languedoc par Perpignan, de l’armée anglaise qui était attendue sur les côtes de France, de la troupe qu’Aymard de Prie introduirait dans Dijon, des bandes de soldats que commanderaient Lallière, Peloux, Godinières. Puis, supposant que Matignon et d’Argouges n’hésiteraient pas à embrasser le parti du connétable, il leur proposa de faciliter l’accès et l’occupation de la Normandie à l’amiral d’Angleterre[3]. Il ajouta qu’ils régiraient cette province lorsque le connétable, à la tête de ses troupes et de celles de l’empereur, aurait pris Lyon et marcherait au centre du royaume, dont il se ferait d’abord gouverneur, ensuite roi.

  1. Interrogatoire de Popillon, du 7 octobre. — Mss. no 484, f. 166 v°.
  2. Interrogatoire du 7 octobre. — Ibid., f. 166 v°.
  3. Dépositions de d’Argouges et de Matignon. — Ibid., f. 5 v°, 6 et 7.