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Que pouvait-on objecter aux raisons du ministre ? L’épuisement du pays et l’obligation où l’on se trouvait de ménager ses finances ? La situation cependant s’améliorait chaque jour. La paix et l’industrie développaient rapidement les richesses naturelles de la France. Le moment approchait où l’extrême économie, n’étant plus une nécessité, pouvait devenir une faute. Ainsi, lorsqu’il était prouvé jusqu’à l’évidence que 65 millions étaient le budget indispensable, il fallait avoir l’excuse d’une situation obérée pour n’accorder en 1818 que 43 millions à M. le comte Mole, que 44 en 1819 à son successeur. Si, dans les années suivantes, le budget de la marine s’éleva successivement à 47, à 55 et jusqu’à 67 millions, ce ne fut qu’à la faveur des crédits supplémentaires arrachés aux chambres par les complications du moment. Des fonds furent votés pour les armemens que nécessita la guerre d’Espagne. Il n’en fut attribué ni à l’accroissement ni au renouvellement de la flotte.

Le programme auquel on avait souscrit n’était donc pas aux yeux des majorités parlementaires un programme sérieux, puisqu’on refusait obstinément au ministre les moyens de l’accomplir. En effet, on ne croyait plus en France à l’avenir de la marine. Les hommes d’état en avaient pris leur parti. Ils répétaient à qui voulait les entendre que le prodigieux développement de la marine anglaise devait nous interdire toute pensée de retour à la guerre d’escadres, qu’en face d’une puissance qui possédait cent trente-cinq vaisseaux et cent vingt frégates, six mille officiers et cent soixante-quatorze mille matelots, notre unique ambition devait être de harceler le commerce ennemi. De petites divisions de frégates atteindraient mieux ce but que des escadres nombreuses, dont la réunion ne nous préparerait que de nouvelles catastrophes. Pour l’Angleterre, la marine était la vie même de l’état, le palladium des libertés publiques, le boulevard de l’indépendance nationale. Pour la France, elle n’était qu’un surcroît de force, et, si on l’eût osé, on eût dit un objet de luxe. C’est ainsi que, contre 100 millions prélevés par l’armée de terre sur le budget général de l’état, l’ancienne monarchie en avait accordé 45 à la marine, l’empire 31, et que la restauration ne lui en attribuait plus que 29.

Ce découragement était exagéré. La France sans contredit ne devait pas prétendre à devenir à la fois la première des puissances continentales et la première des puissances maritimes ; mais de très bons esprits pensaient encore, avec le général Foy, « que nous devions être sur mer incontestablement les premiers après ceux dont la force maritime était sans égale, et qu’à ceux-là mêmes notre armée navale pouvait être redoutable, comme la tête de colonne des flottes des deux hémisphères. » Si la guerre d’escadres n’était plus possible dans