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jusqu’à ceux qui lui voudraient une voix plus jeune et d’un timbre plus musical. C’est le triomphe de l’intelligence et du style sur la nature et la résistance des organes matériels. De pareils événemens prouvent encore une fois qu’il y a dans la musique, et même dans la musique dramatique, des beautés impérissables qui ne demandent qu’à être bien interprétées pour produire leur effet. Que les jeunes compositeurs se rassurent donc, et que la restauration d’un vieux chef-d’œuvre leur serve d’exemple, non pour imiter la manière de Gluck, mais pour s’inspirer de son génie et pour créer à leur tour des formes nouvelles ! C’est une profonde erreur de croire que l’admiration des monumens du passé empêche en nous la puissance créatrice. L’amour enfante l’amour, la lumière produit la lumière. Il n’y a de stérile que l’ignorance et le dédain.

Cependant on a repris à l’Opéra l’Ame en peine de M. de Flottow et l’Herculanum de M. Félicien David pour la continuation des débuts de Mme Vestvali. Il nous serait impossible d’affirmer que cette belle personne a rencontré dans le rôle d’Olympia, créé dans l’origine par Mme Borghi-Mamo, un succès plus significatif que celui qu’elle a obtenu dans Roméo et Juliette de Bellini. La voix de Mme Vestvali manque un peu d’éclat, et son talent, qu’on ne saurait contester sans injustice, ne produit pas l’effet décisif que le public est en droit d’attendre. Il semble qu’on pourrait désirer à Mme Vestvali, qui prononce et articule avec beaucoup de netteté, une certaine harmonie dans les dons divers qui la distinguent. M. Gueymard, qui remplaçait M. Roger dans le rôle d’Hélios, y a été plus heureux qu’on ne pouvait l’attendre, et il a dit particulièrement le joli cantabile de l’ivresse, au second acte, avec une émotion communicative. Il a été parfaitement secondé par Mme Gueymard, dont la belle voix résiste et se conserve presque dans sa pureté première.

M. Roger, que nous venons de nommer, est heureusement rétabli de l’affreux accident qui l’a frappé l’été dernier. L’art est venu à son secours, et une main postiche lui a été ajustée avec un artifice si bien dissimulé, que M. Roger a pu paraître tout récemment, le 15 décembre, sur la scène de l’Opéra, dans une représentation solennelle donnée à son bénéfice. Le public, qui était accouru en foule, a fait à cet artiste distingué un accueil plein de sympathie. M. Roger a chanté tour à tour un acte de la Dame blanche, le quatrième acte de la Favorite avec Mme Gueymard, et le cinquième acte du Prophète avec Mme Alboni. La soirée a été brillante, un peu longue, et a produit vingt-trois mille francs. M. Roger doit être content de l’ovation qu’on lui a faite, et qu’il mérite à bien des égards. Il serait dangereux cependant d’attacher à cette belle représentation donnée en l’honneur d’un artiste intelligent qui a fourni une brillante carrière une signification qu’elle ne saurait avoir.

Puisque nous parlons de l’Opéra, il n’est pas hors de propos de dire un mot de la nouvelle salle qu’on se propose de construire à Paris. On assure que l’administration a déjà choisi l’emplacement sur lequel on doit l’édifier, et que le plan même du monument qu’on destine à l’art musical est adopté d’avance sans débats et sans concours public. C’est une grande affaire, ce nous semble, que de bâtir un grand théâtre lyrique qui doit servir de modèle à toute la France, et qui sera le point de mire de l’Europe entière. Tant