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REVUE. — CHRONIQUE.

négation que des pénibles concessions qu’il avait déjà faites ; il s’arrêta devant cette nécessité de l’abdication. On sait le reste. La famille du grand-duc quittait Florence au milieu d’un peuple silencieux, qui n’eut ni une injure ni un mouvement de sympathie pour cette famille fugitive, qui se proscrivait elle-même faute de pouvoir se résigner à devenir nationale, et la Toscane marchait à ses destinées nouvelles, s’alliant à la France et au Piémont, s’organisant au sein d’un calme intérieur qui ne s’est point démenti. Le rôle du marquis de Lajatico en ces dernières heures fut aussi loyal que simple et patriotique. Il fit tout ce qu’il put pour sauver la dynastie, et quand tout fut épuisé, il s’offrit encore pour garantir sa sûreté, fût-ce au risque de sa propre vie, ce qui ne fut point heureusement nécessaire.

Libre désormais de tout engagement envers la maison de Lorraine, ayant largement payé la dette de ses affections dynastiques, le marquis de Lajatico n’avait plus qu’un devoir : c’était de se dévouer aux destinées nouvelles de son pays ; il accepta d’aller représenter la Toscane au camp des armées alliées en Italie. Par ses manières supérieures, par sa dignité facile, par le désintéressement avec lequel il remplit la mission dont il était chargé, par le sang-froid qu’il montra aux batailles de Palestro et de Solferino, pendant lesquelles il se tint toujours à cheval au milieu de l’état-major du roi de Sardaigne, le représentant de la Toscane faisait honneur à son pays, en même temps qu’il lui rendait plus d’un service par ses rapports avec les chefs souverains des deux armées. Il avait vu avec une véritable tristesse le départ de la maison de Lorraine, et qui sait s’il ne croyait pas encore secrètement à la possibilité de son retour dans des conditions meilleures après la conquête de l’indépendance ? Dès qu’il vit le grand-duc et ses fils prendre place sans nécessité dans le camp autrichien contre l’Italie, il n’eut plus la moindre illusion ; l’incompatibilité était devenue radicale à ses yeux, tout devait être fini. Le marquis de Lajatico fut l’un des premiers à penser dès ce moment que la Toscane n’avait rien de mieux à faire que de s’annexer au Piémont. Sa vive intelligence politique découvrit bientôt les difficultés insurmontables qu’éprouverait tout gouvernement nouveau en Toscane. La maison de Savoie avait pour lui l’avantage d’être une maison italienne forte de sa popularité et d’offrir toutes les garanties d’ordre et de paix intérieure. La formation d’un royaume constitutionnel sous le sceptre de la maison de Savoie lui apparaissait enfin comme la combinaison la plus juste et la plus pratique pour sauvegarder désormais l’indépendance italienne vis-à-vis de l’étranger. C’est dans ce sens qu’il conseillait le nouveau gouvernement toscan dès les premiers temps de son séjour au camp des armées alliées.

En adoptant cette pensée, devenue plus générale après la paix de Villafranca, le marquis de Lajatico se montrait toujours le même, national, monarchique, constitutionnel et conservateur. Son zèle ardent pour les intérêts de son pays lui fit accepter après la paix d’aller représenter cette politique à Paris et à Londres. Il vit trois fois l’empereur des Français, en juillet et en octobre, et se fit le défenseur des vœux des Toscans. Un jour peut-être la correspondance du diplomate florentin offrira plus d’un trait curieux à l’histoire, en même temps qu’elle sera un témoignage de plus de son dévouement intelligent. Le marquis de Lajatico ne mettait du reste au-