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Je continue et continuerai à tenir la promesse que je t’ai faite, dans ma dernière lettre, de ne pas m’exposer étourdiment pour abréger mon séjour en ce triste pays. Ceci bien compris de nous deux, je vais pour te mettre en garde, quant à l’époque de mon retour, contre de vaines craintes ou de non moins vaines espérances, je vais, dis-je, t’exposer franchement l’état des choses. Les affaires des Anglais vont mal, de mal en pis. Si l’insurrection se communique au Pendjab, ce qui n’est malheureusement que trop probable, Dieu sait ce qu’il en coûtera d’or et de sang à nos voisins pour rétablir leur autorité sur le domaine indien. Heureusement pour l’Angleterre, l’homme qui préside en ce moment aux destinées des provinces du nord, sir John Lawrence, est capable de tout, même de l’impossible ! Son nom est vénéré par les Sikhs à l’égal de celui d’un prophète, d’un gooroo, et peut-être par un chef-d’œuvre d’habileté et de courage parviendra-t-il non-seulement à maintenir dans l’obéissance les vieilles bandes de Runjet-Sing, mais encore à les faire marcher au secours de leurs anciens ennemis. Que l’Angleterre pré- pare alors pour sir John la couronne triomphale, qu’elle élève en son honneur sa plus haute colonne ! Jamais homme n’a mérité de son pays comme le présent proconsul du Pendjab aura mérité du sien.

Je ne m’étends pas sur ces considérations, qui ne t’intéressent que médiocrement, et reviens à mes projets de retour. Pour que je puisse me mettre en route en toute sécurité, il n’est pas indispensable que l’autorité britannique soit rétablie de Calcutta à Peshawur; il suffit que la route de Nawabgunge à Mirzapore soit délivrée des maraudeurs qui l’infestent en ce moment. Arrivé à Mirzapore, j’attendrai le passage d’un des steamers de l’India general steam navigation Company, qui desservent la ligne de Calcutta à Allahabad, et une fois à bord, je serai aussi en sûreté, crois-en ma parole, que je le serais sur la place Louis XY. Il s’agit donc d’attendre à Nawabgunge l’arrivée de la première colonne expéditionnaire chargée de rétablir les communications entre cette station et Mirzapore. Or, si cette expédition n’est pas encore partie, elle ne peut tarder à se mettre en marche. Nawabgunge commande, je te l’ai dit, les communications entre la présidence du Bengale et l’Inde centrale, et il est impossible que l’importance de cette position stratégique échappe au commandant en chef, lorsqu’il aura pourvu aux difficultés du premier moment. Déjà sans doute nous aurions été secourus, si la gravité des événemens n’avait forcé de diriger en toute hâte les renforts venus à Calcutta de Madras et de Bombay sur Cawnpore et Lucknow. Ces deux places, serrées de près par l’ennemi, inspirent les plus vives inquiétudes, et déjà plusieurs fois il nous a été annoncé que les deux garnisons européennes avaient dû subir l’ignominie d’une capitulation. Quant à nous, nous pou-