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jours d’été n’étaient pour elle que des jours plus longs et plus fatigans, lorsqu’elle filait, à l’ombre des chênes, à demi endormie par la chaleur ; mais une nouvelle vie commençait pour elle : délivrée d’un travail incessant et monotone, elle s’associait par la pensée aux joies des oiseaux qui chantaient gaiement en songeant que, comme eux, elle n’aurait plus rien à faire désormais qu’à se sentir exister, libre de tout souci. Souvent elle fermait les yeux pour mieux saisir les riantes idées qui s’éveillaient dans son esprit, et Louis, qui la croyait prête à s’endormir, lui disait à demi-voix : — Prenez garde de tomber, Marie, tenez-vous bien ! Si la jument allait faire un pas ! — Et la vieille métayère, tirant la bride, ranimait sa lente monture d’un coup d’éperon.

Ainsi ils cheminaient tous les trois silencieux ; que pouvaient-ils se dire ? Pour converser dans les grands momens de la vie, il faut une habitude de coordonner et d’exprimer ses pensées qui manquait aux trois voyageurs. De temps à autre, Louis demandait la route à des paysans qui la lui indiquaient du geste par-dessus les haies, et reprenaient aussitôt leur travail un moment interrompu. Les collines succédaient aux collines ; de loin en loin se montraient les métairies aux toits rouges entourées de leurs éternels champs de choux. Pendant cinq grandes heures, ils voyagèrent ainsi ; enfin un manoir d’assez respectable apparence se montra à une demi-lieue devant eux.

— Louis, dit la métayère, je crois que nous voilà enfin arrivés… À ces mots, Marie se pencha pour découvrir le château où ses pères avaient vécu et où allait se passer son existence. Elle ne distinguait encore qu’un donjon à demi écroulé et une longue allée d’ormeaux séculaires qui pour la plupart laissaient pendre au hasard leurs branches à demi mortes. On eût dit que les vieux arbres, menacés par le temps, se serraient autour de l’ancien manoir pour l’envelopper respectueusement de leur ombre et le soustraire aux regards des profanes. À la vue de cette habitation d’un aspect si mélancolique, Marie se troubla. Il lui semblait que les seigneurs de La Verdière, morts depuis des siècles, allaient sortir de l’éternel repos pour la regarder passer dans son costume de paysanne.

— Attendez ici, ma mère, et vous aussi, mademoiselle, dit Louis en les aidant l’une et l’autre à mettre pied à terre. Je vais aller en avant et expliquer à la maîtresse du logis les motifs de notre voyage au château.

La métayère attacha la jument aux branches d’un arbre ; tandis que la bête fatiguée broutait quelques touffes d’herbe verte, Marie, assise auprès de son ancienne maîtresse, regardait avec distraction l’eau couler à travers les prés sous les bouquets,de saule. Elle se