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la moindre largeur du golfe est, de la pointe de La Roque à celle de Tancarville, de 4,400 mètres, et la plus grande, du Havre à Villerville, de 9,100 mètres. La superficie submersible comprise entre la méridienne de Quillebeuf et celle du Havre est de 25,000 hectares.

Tant que le canal de la Seine conserve l’aspect d’une rivière, les eaux chassent devant elles les matières qu’elles charrient, et maintiennent par leur force propre la liberté et l’unité du lit. Il en est autrement quand les flots s’épandent et s’amortissent dans un bassin où, malgré des agitations intermittentes, il n’existe plus de pente générale ; leurs dépôts et leurs caprices apportent alors d’interminables modifications au relief du fond. Il fut un temps, il n’est pas permis d’en douter, où l’emplacement des bancs qui obstruent l’atterrage de la Seine était recouvert d’une puissante couche d’eau, où les marées descendaient à leur plan le plus bas sans jamais laisser poindre les affleuremens de longues grèves, telles que celles qui remontent aujourd’hui jusqu’à Quillebeuf. La succession des siècles a changé cet état de choses, et l’activité de la navigation n’est venue animer ce bassin qu’à une époque où la profondeur des eaux lui était déjà bien moins favorable ; mais, sans remonter au-delà des temps historiques, on voit les établissemens maritimes qui n’ont pas, comme celui de Rouen, le rétrécissement du fleuve et des chasses énergiques d’eaux douces pour se maintenir, descendre vers la mer à mesure que les atterrissemens atteignent leurs abords ou leurs bassins. Ceux de l’antiquité étaient à Lillebonne, ceux du moyen âge à Harfleur ; les nôtres sont au Havre, et qui sait si ceux de la postérité y resteront ?

Le sol du bas de la vallée du Bolbec est empreint de témoignages naturels de la grandeur passée de Juliobona (Lillebonne), qui valent ceux des historiens et des monumens construits par les hommes. La petite ville d’aujourd’hui a jadis été la capitale des Caletes[1], un des peuples de la Gaule dont la soumission coûta le plus à César[2]. Après l’avoir détruite pour la prendre, il la rebâtit plus forte et plus belle et lui donna son nom[3]. Aujourd’hui perdue au fond d’une obscure vallée, séparée de la Seine par une traversée de 4 kilomètres de prés marécageux, à quels avantages de position a-t-elle pu devoir son antique prépondérance ? — Le niveau et l’humidité spongieuse de ces terrains en constatent la récente formation, et tant que la place qu’ils occupent a fait partie du domaine de la mer, le

  1. Καλέται ὧν πόλις Ιουλιοϐόνα (Kaletai hôn polis Iouliobona). Strabon, l. II, c. 8.
  2. De Bello Gallico, l. VIII, c. 7. — Orose, l. VI.
  3. « Ipsum namque castrum Caletus ante vocabatur, quod destructum et in majori elegantià reparatum ex suo nomine Juliobona vocare placuit. »