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toutes les parties du monde, en Chine, en Australie, aux Indes, en Grimée, au Canada. Il était touchant de voir, au moment où ces enfans allaient dire adieu à Londres, les autres shoe-blacks leur remettre une petite boîte pleine de pence, de shillings et de demi-couronnes. Dans mon dernier voyage au Canada, je visitai une trentaine de ces jeunes émigrés ; ils prospéraient. Un seul sur sept cents qui avaient traversé l’Atlantique s’était mis dans le cas de faire connaissance avec la prison. Notre succès a été contagieux. Il existe maintenant à Londres neuf sociétés de shoe-blacks, qui se partagent les différens quartiers de la ville ; mais la nôtre, celle des enfans rouges, est la seule qui suffise à ses besoins : les autres vivent plus ou moins de secours et de dons volontaires[1]. Nous aimons ces enfans pour leur âge, pour leur misère, pour leur bonne volonté, pour les dangers auxquels nous les avons soustraits. Une fois l’an, nous les conduisons à Zoological Garden, et une autre fois dans un parc où ils prennent le thé, au milieu des ombrages et des pompes de la nature. Pour leur tenir l’âme en joie et aussi pour leur donner un certain sentiment des arts, nous exerçons quelques-uns d’entre eux à la musique. Vous avez dû entendre, le soir, dans les rues de Londres, leur joyeuse band, qui passe avec un bruit de cuivre, de tambours et d’instrumens à vent. Ils donnent des concerts une fois par semaine en plein air, et ces marches guerrières, ces mélodies dont l’exécution est satisfaisante, doivent inspirer un sentiment de gratitude envers la Providence à la vue de ces enfans qui étaient perdus pour la société, et que la société a reconquis. »

Le shoe-black a un antagoniste, c’est le balayeur des rues (broomer ou street-crossing-sweeper). Je ne parle point ici des street-orderlies, dont le système d’opération se rattache à l’ordre des travaux publics : je parle des volontaires qui offrent leurs services pour balayer les trottoirs devant les boutiques ou pour frayer au passant un sentier praticable entre deux océans de boue. Pendant un temps, la société des shoe-blacks avait essayé de prendre dans sa main et de régulariser cette industrie ; elle y renonça. Il y a bien encore une autre compagnie de broomers dont les enfans portent un pantalon bleu, une tunique bleue nouée par une ceinture noire, et un chapeau de cuir sur lequel sont inscrits ces mots : ragged schools, toutefois la profession de balayeur des rues est le plus souvent indépendante. Les balayeurs se recrutent parmi les enfans désœuvrés, les ouvriers estropiés et les vieilles femmes. Leur gain est

  1. De semblables sociétés ont été fondées, dans ces derniers temps, à Birmingham et à Newcastle-upon-Tyne.