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prenait toujours la tête, les poussaient dans le village, où l’on se fusillait à bout portant. « Lâchez les zouaves, » disait-on; mais le général Yusuf, qui est fin, et qui croyait à une embuscade, puisqu’il ne voyait rien de l’autre côté, les gardait comme réserve et pour le cas critique. Il donna l’ordre au brave commandant Magnan de traverser la rivière avec ses deux régimens, puis, se ravisant, fit arrêter le mouvement, et le combat se changea en une fusillade insignifiante.

Quelques cosaques et quelques bachi-bozouks étendus par terre prouvaient que la lutte avait été bonne, quoique courte. Ces derniers avaient en quelque sorte rétabli leur réputation; mais le cadre français aurait enlevé les plus lâches, et ils combattaient sous les yeux de leur sultan, le général Yusuf. Puis ce village les alléchait: il y avait chance de pillage. Aussi, quand on sonna la retraite, eut-on grand’peine à les réunir; le village les fascinait évidemment. Ils ne revinrent qu’à contre-cœur, quelques-uns rapportant des têtes coupées qu’ils crurent devoir mettre aux pieds de leur pacha ; mais, quoique la guerre d’Afrique l’eût accoutumé à de pareilles horreurs, le général Yusuf repoussa avec dégoût l’hommage de ces cannibales. Il s’empressa d’envoyer un parlementaire à l’hetman des cosaques pour l’assurer qu’il déplorait cette manière de faire la guerre, et qu’il repoussait toute participation à de pareils actes, dont une punition sévère allait faire justice. Le respect de la vérité m’oblige à dire que ce parlementaire revint sans avoir pu remplir sa mission : il eut beau agiter son mouchoir blanc; les cosaques le reçurent à coups de carabine, et il nous revint tout haletant, mais sain et sauf, dans la soirée.

J’avais donc pu voir de près des cosaques, mais dans nos adversaires de 1854 je ne retrouvai plus le type si connu de 1815. Ils portaient de longues capotes brunes, et sous ces capotes une tunique gros-vert sur les pattes de laquelle était marqué le numéro de leur sotnia[1], des bottes chaussées par-dessus le pantalon et des casquettes sans visière. C’est la 17e sotnia qui avait figuré dans ce petit combat de Periklé.

Au combat succéda la marche par une chaleur étouffante. On respirait du feu. Plusieurs orages se formaient, les éclairs nous aveuglaient, et le tonnerre commençait à gronder. On marchait toujours. Les zouaves, fatigués de leur course impétueuse, nous suivaient avec peine, chassant devant eux un troupeau de moutons, prix d’une heureuse razzia. Le général n’avait pas perdu l’espoir de rencontrer les hussards russes; mais à quatre heures du soir, la pour-

  1. On sait que les cosaques sont organisés par compagnies de cent hommes, qui forment une sotnia.