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24 juin, au palais de Cristal de Sydenham. C’était pour célébrer le centième anniversaire de la mort de Handel, l’unique grand musicien dont l’Angleterre puisse se glorifier, parce que si elle ne l’a pas planté, elle l’a vu croître et se développer sur sa terre de liberté féconde. Le premier jour, on a exécuté le Messie, le plus connu de ses grands oratorios et le chef-d’œuvre de ce maître grandiose, qui a si bien traduit la poésie sévère de l’Ancien Testament. Le programme du second jour se composait d’un Te Deum que Handel avait composé pour célébrer la victoire de Dittingen, avec un choix de morceaux tirés des autres oratorios. Le troisième jour a été rempli par Israël en Égypte. On assure que la recette de ces trois séances s’est montée jusqu’à la somme de 2 millions (80,000 livres sterling), qui doit servir au soutien d’un établissement de charité publique, l’orphelinat de Handel. Voilà qui est digne d’une grande nation et de l’art qui contribue le plus à l’effusion des sentimens généreux.

L’Allemagne, malgré la fureur guerrière qui s’était emparée de son esprit jusqu’à la paix si inattendue de Villafranca, a eu pourtant encore assez de loisir pour penser à ses dieux domestiques. Un monument a été élevé à Handel sur la place du marché de la ville de Halle, où ce grand homme est venu au monde le 24 février 1684. C’est une statue en pied qui repose sur un socle de marbre où on lit cette inscription en lettres d’or : Monument élevé par ses amis d’Allemagne et d’Angleterre. Le grand compositeur porte le costume du temps, et sa main droite repose sur un pupitre où l’on voit la partition du Messie ouverte. Il est à désirer que le monument soit complété par l’achèvement de l’excellent ouvrage de M. Frédéric Chrysander, dont il n’a paru encore que le premier volume. On attend aussi avec impatience le quatrième et dernier volume de la Vie de Mozart, par M. Otto Jahn.

Puisque nous faisons le tour de l’Europe en nous efforçant de résumer les faits qui se rattachent à l’art, nous devons mentionner la fondation d’une grande société musicale russe, dont les statuts ont été sanctionnés par l’empereur Alexandre Il et promulgués dans la Gazette du Sénat de Saint-Pétersbourg. Le nombre des membres qui doivent composer cette société est illimité, et les femmes peuvent y être admises. À la bonne heure, voilà une institution complète, à laquelle il ne manque aucun élément de succès.

Pendant les terribles chaleurs de l’été, Paris n’a eu pour se distraire que les bulletins de la guerre d’Italie, la paix de Villafranca, les fêtes triomphales et les cantates qui en ont été le couronnement. On parlera longtemps de Magenta et de Solferino, mais qui se souvient encore de la poésie et de la musique officielles dont ces grands faits d’armes ont été l’occasion ? Le théâtre de l’Opéra-Comique a montré aussi beaucoup de bravoure pour traverser les mois caniculaires, qui ne sont pas pour les théâtres la saison des amours. Après la reprise des Mousquetaires de la Reine de M. Halévy, où M. Montaubry ne s’est montré ni plus naturel, ni moins affecté, moins content de son sort que dans les Trois Nicolas, on a donné deux petits opéras en un acte, le Rosier de M. Henri Potier, fils du célèbre comédien, et le Voyage autour de ma chambre, dont la musique est de M. Grisar, qui a été souvent plus heureux et moins économe de son fluide musical. Du reste, le théâtre de l’Opéra-Comique est dans l’état le plus florissant, car on y chante aussi peu