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rente de celle des autres provinces : elle a été plus accidentée et plus variable. Les Romagnes se distinguent des autres parties de l’état de l’église par le caractère de leurs belles et énergiques populations ; elles s’en séparent plus encore par leur position géographique. Si l’on ne consultait que la géographie, il est manifeste que les Romagnes, prolongeant jusqu’aux Apennins la plaine du Pô, appartiennent à l’agrégation de l’Italie supérieure. Voilà des causes d’exception dont la politique peut déjà tenir compte en faveur des Romagnes malgré les dédains de la logique de M. l’évêque d’Orléans. Allons plus avant, examinons les accidens qu’a présentés le gouvernement des Romagnes depuis 1815. Pendant vingt ans sur une période de quarante-cinq, les Romagnes ont été occupées par les troupes autrichiennes ; pendant vingt ans, la cour de Rome n’a conservé une souveraineté nominale sur les légations qu’avec le secours de troupes étrangères et en abandonnant même plusieurs des prérogatives essentielles de sa souveraineté à un gouvernement étranger. Est-ce là une possession régulière et l’exercice normal d’une souveraineté véritable ? Si en Europe un autre souverain que le pape se fût trouvé dans une situation semblable vis-à-vis d’une partie considérable de ses états, les évêques pensent-ils qu’il en eût même conservé si longtemps la souveraineté nominale ? Mais cet état de choses n’a pas pu durer, et la conscience de l’Europe ne permet plus qu’il se renouvelle. C’est ici que les évêques font intervenir de bien injustes imputations contre le roi de Sardaigne. Était-ce la faute de la Sardaigne si pendant vingt années les légations avaient été occupées par l’Autriche ? Était-ce la faute de la Sardaigne si le divorce des Romagnes s’accomplissait toutes les fois qu’elles se trouvaient libres du joug étranger en face du gouvernement pontifical ? Est-ce la faute de la Sardaigne si l’influence de ses institutions, si l’identité de caractère et d’esprit qui distingue les populations de l’Italie supérieure, si l’intérêt commun d’une guerre nationale, et après la guerre une nationalité qui veut se constituer avec force, lui attirent les populations romagnoles ? La Sardaigne n’a fait qu’une œuvre d’ordre en fournissant aux légations qui se séparaient du saint-siège les élémens d’une organisation provisoire ; ce n’est pas au pape, qui les possédait si mal et si peu, qu’elle a ravi les Romagnes : elle les a dérobées aux mauvaises inspirations révolutionnaires et au mazzinisme. Voilà ce que disent les faits ; ce n’est pas tout. Les causes de la désaffection des Romagnes ont été depuis longtemps étudiées ; les mesures qui auraient pu la faire disparaître ont été depuis vingt-huit ans signalées et recommandées au saint-siège par les cinq grandes puissances de l’Europe. La justice des griefs des Romagnes a donc été reconnue par le tribunal européen le plus élevé. Il y a plus encore : ceux qui prétendent que c’est attenter à la dignité du saint-siège que de lui demander une transaction avec ses peuples oublient que le pape lui-même, dans son motu proprio de 1849, en revenant de Gaëte, avait posé les bases d’une transaction semblable, mais que, promises depuis dix ans, les réformes annoncées dans ce motu proprio n’ont point été réalisées. Dans de telles circonstances, si l’on invoque pour le pape les droits du prince, il faut admettre aussi pour lui les devoirs et les nécessités que le cours ordinaire des choses impose à tous les princes. Le droit constitutionnel des états européens est