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vée toutes les conséquences qui y sont en germe. Cette liberté du travail qui a si pleinement réussi à l’intérieur, pourquoi ne l’étendrait-on pas aux nations étrangères par la liberté des échanges ? Pourquoi les barrières de territoire ne tomberaient-elles point comme sont tombées les barrières de provinces ? En bonne logique, il semble qu’il en devrait être ainsi ; mais cette logique répugne à des intérêts qui se croient menacés, et c’est là-dessus que porte l’autre reproche adressé à l’économie politique. Il n’y a pas à refaire ici l’histoire de cette querelle qui dure depuis un demi-siècle, et qui n’est pas plus avancée qu’au premier jour. Des générations d’économistes se sont succédé sans que la raison publique ait pu amener à composition une coalition d’intérêts qui unit l’habileté à la turbulence, constitue presque un état dans l’état, et dans plusieurs circonstances est allée jusqu’à mettre les gouvernemens au défi. Du côté de ceux qui disent que la liberté n’a pas deux poids et deux mesures, que si elle a été bonne au dedans, elle sera bonne au dehors, la démonstration a été surabondante. C’est un point que Jean-Baptiste Say et Rossi ont établi sans réplique ; M. Michel Chevalier l’a développé après eux avec le plus grand détail dans un très bon volume intitulé Examen du Système protecteur. Tous ont rendu manifeste cette vérité, que la liberté des échanges, sagement et graduellement appliquée, ne peut pas causer des ruines, comme on le prétend, tandis que le privilège, obstinément maintenu, condamne une nation à d’éternels sacrifices et à une irrémédiable infériorité. Ils ont pris un à un les faits sur lesquels on s’appuyait dans le camp contraire, discuté les calculs hasardés, démasqué les mensonges, flétri les violences, en gardant au milieu de cette mêlée le calme qui sied à la bonne foi. En droit, on peut dire que la cause est non-seulement instruite, mais gagnée ; en fait, elle reste au point où la maintiennent les passions et les préjugés. La force des choses pourra seule triompher de cette effervescence qu’accompagnent des terreurs puériles et qu’amènent des manœuvres visibles pour les yeux les moins exercés. Quant à la science, elle n’a plus rien à y voir.

Il est pourtant un point de théorie sur lequel la discussion est possible : c’est à un économiste allemand qu’on le doit. Suivant lui, il n’y a de richesse que dans la production, et le principal souci d’un état doit être d’en développer les foyers par tous les moyens dont il dispose. Si ce développement a lieu d’une manière naturelle, tant mieux ; mais s’il faut pour cela recourir à des combinaisons artificielles, élévation des tarifs, exclusion des similaires étrangers, l’intérêt de la communauté est d’adopter cette marche sans hésitation et sans crainte. La richesse acquise par la production est sur le premier plan, la richesse acquise par l’échange ne peut venir qu’en