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de la France, qu’aux vents et aux courans : venant directement du pôle ou de la baie de Baffin par le détroit de Davis, ils entraînent avec eux de vastes plaines et de hautes montagnes de glace qui répandent une atmosphère hyperboréenne sur toutes les régions dont elles s’approchent, et parcourent à l’aventure les mers jusqu’à ce que les chaudes brises du sud et les tièdes courans du golfe du Mexique aient divisé ces masses énormes en blocs errans que le soleil de juillet achève de fondre.

L’homme aurait fui à tout jamais ces lieux désolés, s’il n’eût découvert aux environs de Terre-Neuve des bancs sous-marins peuplés de poissons dont il pouvait faire sa nourriture et un objet de commerce lointain. À des profondeurs variables de vingt-cinq à soixante brasses se trouvent des alluvions vaseuses ou des collines qui sont distribuées depuis le continent américain jusque bien avant dans l’Océan-Atlantique : sorte d’archipel invisible qui ne se révèle au navigateur que par la teinte plus claire ou par l’agitation et la fraîcheur des eaux. Le plus vaste et le plus fameux de tous ces bancs est connu généralement sous le nom de Grand-Banc de Terre-Neuve, qui n’a pas moins de deux cents lieues de long sur cent de large, patrie native ou quartier-général d’innombrables légions de poissons. C’est là que foisonne surtout la morue, soit qu’elle y dépose son frai, soit qu’elle s’y rende après l’avoir confié aux algues des rivages. Aux dernières semaines d’avril, elle abandonne ses stations inconnues d’hiver, et vient chercher sa nourriture sur le Grand-Banc. On y assiste pendant tout l’été à une fermentation tumultueuse de vie animale qui se prolonge en traînées mouvantes le long des îles voisines et du continent, et attire une multitude d’oiseaux du ciel jusqu’à ce que l’hiver refoule de nouveau les forts et les faibles dans le fond des mers ou dans les régions polaires et équatoriales jusqu’au printemps prochain.

Depuis l’origine des âges, ces évolutions s’accomplissaient, ignorées des hommes, lorsque Terre-Neuve fut découverte en 1497[1], cinq ans après que Colomb eut révélé l’existence du Nouveau-Monde, par Jean et Sébastien Cabot, navigateurs vénitiens, voyageant au service de Henri VII, roi d’Angleterre. Dès qu’on sut, par des pêches abondantes, que les mers d’Amérique recélaient, comme les terres, leurs trésors, cette contrée révéla des mérites inaperçus d’abord. En vertu de ces harmonies naturelles que la raison n’admet pas volontiers à titre de causes finales, mais que l’œil et l’esprit se plaisent instinctivement à constater, tout parut disposé en ces lieux

  1. Nous adoptons la date généralement admise, mais en ajoutant que M. d’Avezac a établi, par des documens authentiques, l’arrivée de Cabot sur le continent dès 1494.