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l’Angleterre est la plus grande garantie de la civilisation contemporaine. Il n’y a pas d’alliance entre des peuples également puissans et fiers, s’ils n’ont pas tous les deux le sentiment de leur sécurité réciproque. Ne chicanons point les Anglais sur les efforts qu’ils font et les sacrifices qu’ils s’imposent pour se pénétrer de ce sentiment de sécurité qui leur a un moment manqué. C’est le spectacle de notre puissance qui leur a inspiré cette inquiétude éphémère ; nous pouvons donc attendre avec un tranquille orgueil qu’elle s’apaise d’elle-même.

Les événemens qui se sont précipités depuis trois mois pour venir se dénouer subitement d’une façon si inattendue ont eu pour effet naturel d’éclipser un moment bien d’autres questions qu’on a vues passer plus d’une fois à l’horizon de l’Europe. Tant que la lutte était engagée en Italie, on ne parlait pas du Holstein et de cette vieille querelle depuis si longtemps pendante entre le Danemark et la confédération germanique. Le Danemark lui-même, bien que toutes ses sympathies fussent pour la France, n’a point laissé de remplir ses devoirs fédéraux dans l’exécution de toutes les mesures d’armement décrétées par la diète de Francfort. La question des duchés va reprendre aujourd’hui sa place dans la politique allemande, et redevient une de ces affaires où se complaît la diplomatie de nos voisins d’outre-Rhin, car, après bien des essais et bien des négociations, cet éternel différend est loin d’être résolu. Seulement les affaires d’Italie n’auront point été peut-être absolument inutiles au Danemark, en montrant sous un jour singulier les contradictions de la politique germanique au point de vue de ce droit des nationalités autour duquel roulent depuis quelque temps toutes les discussions. C’est en vertu de ce principe des nationalités, on le sait, que les Allemands s’efforcent, depuis des années d’arracher le Holstein au Danemark, et vont même jusqu’à vouloir détacher le Slesvig de la monarchie danoise. Or comment ce principe serait-il applicable sur l’Eider, lorsque hier encore une partie de l’Allemagne le méconnaissait si bruyamment et si nettement sur le Pô et sur le Mincio, lorsque l’existence entière de l’Autriche repose sur la négation des nationalités, lorsque la Prusse elle-même, par sa propre politique, n’en est point à laisser voir le peu de compte qu’elle fait de ce droit, si souvent invoqué au profit du Holstein ? L’Autriche, il faut le dire, ne s’est engagée si avant dans cette querelle diplomatique avec le Danemark que pour ne pas se laisser devancer par la Prusse, pour maintenir sa position en Allemagne. Quelle est cependant la situation de la Prusse elle-même ?

La Prusse, si active et si persévérante, quand il s’agit de revendiquer les droits des duchés, de soutenir les Holsteinois dans leur opposition contre le Danemark, la Prusse, comme on sait, a, elle aussi, dans son sein une nationalité digne d’intérêt, quoique n’étant point allemande ; elle possède le grand-duché de Posen. Des traités formels, des proclamations officielles, des promesses royales plusieurs fois renouvelées de 1815 à 1841, ont garanti le maintien de la langue et de la nationalité polonaises. Qu’en est-il advenu ? Malgré toutes les promesses et toutes les garanties, l’Allemand a si bien envahi le duché, qu’il est partout aujourd’hui. Non-seulement les hauts fonctionnaires, mais tous les employés du gouvernement sont prussiens. La langue allemande est la seule autorisée dans les affaires judiciaires, dans les