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un détour de plus de 50 kilomètres. La troisième coupure, le Raccourci, doit en partie sa formation au travail de l’homme : à travers l’isthme, on creusa un simple fossé de 4 ou 5 mètres de large et de 2 mètres 1/2 de profondeur; on espérait bien que le Mississipi, dans sa première crue, se chargerait de s’excaver un lit à sa taille. En effet, six mois après, les eaux du Mississipi s’écoulaient par le nouveau tracé, et l’ancien lit était devenu une fausse rivière.

Il est évident qu’il serait bien facile d’aider le Mississipi à couper tous les isthmes qui l’empêchent de descendre directement vers la mer. Malheureusement cette rectification, qui serait très utile au commerce, créerait de grands dangers à l’agriculture. En effet, l’isthme peut être comparé à une écluse qui empêche les eaux du bief supérieur de se jeter dans le bief inférieur. Qu’on ouvre l’écluse, aussitôt l’eau baissera dans le bief d’amont, et le niveau du bief d’aval s’élèvera. Ne pouvant écouler à la fois toute cette masse d’eau qui lui arrive, il emportera ses digues à droite et à gauche, et couvrira les campagnes.

Il y a quelques années, des planteurs de Palmyre, dont les terres sans doute étaient situées en amont de l’isthme, firent creuser un simple fossé que le Mississipi n’aurait certainement pas tardé à choisir pour son véritable lit, au grand détriment des plantations d’aval; heureusement les habitans dont les propriétés étaient menacées entendirent parler de la terrible conspiration qui se préparait contre eux, et avant l’époque de la crue ils eurent encore le temps d’envoyer des travailleurs pour combler le fossé. Une masse d’eau comme celle du Mississipi, descendant tout d’un coup avec une pente de plus d’un mètre par un canal de 400 mètres de long, aurait pu causer d’effrayans désastres. Pour un temps, le malheur a été détourné; mais là comme ailleurs l’isthme peut se rompre subitement. Il ne faudrait rien moins que canaliser le fleuve dans toute sa longueur, depuis les chutes de Saint-Antoine jusqu’à la Balise, pour mettre d’accord tous les intérêts, ceux de l’agriculture et du commerce, ceux des habitans d’amont et des habitans d’aval : dans ce cas, la pente serait égale partout. Ce travail de canalisation est immense, mais non pas impossible, car il ne s’agit pour la science que de préparer la besogne au Mississipi lui-même, et d’obliger ce rude travailleur à se creuser son propre lit.

Un peu au-dessous de la petite ville de Fort-Adams, très gracieusement située sur une colline qui domine comme une citadelle un vaste détour du fleuve, un bras de la Rivière-Rouge, ainsi nommée à cause de la couleur de ses eaux, débouche dans le Mississipi. Vis-à-vis de cette embouchure, je fus un jour témoin d’une scène qui peint les Américains sous leurs plus tristes couleurs, mais qui heureusement n’eut aucune suite fâcheuse. Le bateau à vapeur la