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mer, en balayant les quelques bancs de sable ou d’argile que son affluent aurait déposés dans ses crues?

Certainement le travail des rivières est d’une haute importance dans l’économie géologique du globe, mais il ne faut pas en exagérer les résultats. De même que les fonctions des organes du corps sont complexes, et qu’il faut interroger l’organisme tout entier pour comprendre le travail d’un seul viscère, de même, pour connaître le mouvement des eaux, faut-il interroger les solides, étudier les ondulations lentes de la croûte terrestre. Les cours d’eau modifient le relief du globe, mais seulement en agissant de concert avec le soulèvement ou la dépression des chaînes de montagnes et des vastes plateaux. Ainsi l’Indus traverse l’Himalaya, ainsi l’Amazone fait de rapide en rapide une large trouée dans la chaîne orientale des Andes; mais ces vastes entailles faites à travers les montagnes prouvent qu’il fut un temps où les chaînes n’existaient pas, et que depuis elles ont graduellement haussé leurs crêtes. De simples torrens n’auraient jamais pu s’ouvrir, par la seule violence de leurs eaux, un passage à travers des rochers hauts de 5,000 mètres sur une base de 200 kilomètres: mais grâce à la lenteur des ondulations terrestres, l’eau coulant depuis de longs siècles dans une vallée a pu approfondir graduellement son lit à mesure que le sol se renflait davantage, et garder parfaitement son niveau pendant que les hautes montagnes se dressaient à droite et à gauche de son cours.

C’est également aux mouvemens de la croûte terrestre, et non pas à la pression des eaux de l’Arkansas, qu’il faut attribuer l’empiétement graduel du Mississipi sur sa rive gauche. Cet empiétement est d’autant plus remarquable, que le simple mouvement de rotation de la terre autour de son axe devrait au contraire détourner le cours du fleuve vers le sud-ouest. En effet, les fleuves, de même que les vents et tout ce qui est mobile à la surface du globe, obéissent au mouvement d’impulsion qui entraîne la terre autour de son axe. Par conséquent, les cours d’eau qui viennent du nord, où la vitesse de rotation du globe est comparativement minime, doivent rester en arrière du mouvement, et dériver vers l’ouest à mesure qu’ils se rapprochent des contrées tropicales, où la vitesse de rotation est beaucoup plus considérable. Ainsi l’Indus, qui se jetait autrefois dans le golfe de Cusch, vers le 76e degré de longitude, a fini par éroder sa rive occidentale sur une largeur de plus de 1,000 kilomètres, jusqu’au 67e degré de longitude, Maintenant son courant vient heurter des collines de sable grossier près de Schwun, et les mine sans relâche.

La direction normale du Mississipi, comme celle de l’Indus, devrait tendre aussi vers le sud-ouest; mais, tout au contraire, son