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le dernier des hommes auxquels il fallait songer pour résoudre un tel problème. Si l’on fait du gouvernement une question de direction universelle de l’esprit de la nation, il faut être conséquent et observer le système chinois jusqu’au bout ; il faut, dis-je, qu’on arrive à être préfet et ministre au concours et au moyen d’un système d’examens. Il y a une flagrante contradiction à vouloir qu’un gouvernement de gentilshommes, étrangers par leur état à toute connaissance spéciale, soit en même temps un gouvernement d’administrateurs et de mandarins.

Telle est selon moi l’explication de cette époque singulière, digne à la fois de tant d’éloges et d’un blâme si sévère. Elle manqua à son devoir essentiel, qui était de fonder la liberté. La restauration oublia que, n’étant pas nationale, elle était obligée d’être libérale ; mais elle eut le bonheur d’être faible. Le fonds d’honnêteté qui était dans sa nature lui interdit cette tyrannie savante qui, arrêtant jusqu’à la possibilité d’une opposition, n’a pas besoin de recourir à des actes de violence. Elle fut loyale envers ses ennemis, en ce sens qu’elle les combattit, souvent les écrasa de son poids, mais jamais ne les prévint en les désarmant. La plus grande gloire des gouvernemens est dans ce qu’ils laissent faire. Dure et parfois odieuse dans le détail de ses actes, la restauration se fera absoudre de l’avenir, grâce à cette pléiade d’hommes distingués qui se développa sans elle et malgré elle, mais dont elle ne fut ni assez forte ni assez adroite pour arrêter le développement. On oubliera la commune antipathie qu’ils lui portèrent pour lui être reconnaissant de ce qu’elle ne les a pas étouffés. Par une étrange fortune, elle sera félicitée d’avoir laissé grandir ses ennemis, et elle bénéficiera de ce qu’elle n’a pu empêcher.

Telle est aussi l’origine de la position singulière du parti légitimiste et de la contradiction étrange en vertu de laquelle ce parti représente à la fois parmi nous ce qu’il y a de plus excellent et de plus regrettable : d’un côté, la résistance à la brutalité des faits au nom d’un principe, l’attachement désintéressé à une abstraction en apparence stérile ; de l’autre, l’inanité de vues et d’idées, le refus systématique de se prêter aux résultats les plus acquis de l’esprit moderne. Je me hâte de le dire, quiconque est fidèle à son opinion rend un service à l’espèce humaine en préservant le monde de cette légèreté, pire que la barbarie, qui le livre au caprice de tous les vents. Rien ne vaut le légitimiste sincère, maintenant contre toute espérance, et en apparence contre toute raison, son culte obstiné du droit antique ; mais si cette obstination n’est que la persévérance dans une erreur historique, si c’est au despotisme et non au roi que l’on est fidèle, à tel point que la seule apparence du pouvoir absolu