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obtenu ; nous n’avons pas détruit l’armée autrichienne, puisqu’elle à campé à deux lieues du champ de bataille, et qu’elle a pu le lendemain faire un simulacre d’attaque pour protéger sa retraite. La victoire de Magenta nous a néanmoins permis de tirer tout le profit que nous devions attendre de la manœuvre stratégique qui a porté notre armée sur l’extrême droite des Autrichiens et sur la route de Milan. Les Autrichiens ont voulu à Magenta couper notre armée en l’attaquant par le flanc, et ils n’y ont pas réussi. Ils ont voulu tout au moins nous refouler en-deçà du Tessin, et ils ont échoué. Bien plus, impuissant à conserver le champ de bataille et à recommencer sérieusement le combat le lendemain ou les jours suivans, ils ont été forcés de songer à la retraite et de nous laisser faire ce que nous nous étions proposé en passant le Tessin à Turbigo et à Boffalora. Or une bataille qui vous est livrée pour déconcerter une manœuvre, et qui vous laisse maître des fruits prévus de cette manœuvre, est toujours une très grande victoire, bien qu’elle ne soit point accompagnée de l’anéantissement de l’ennemi : telle est pour nous l’incontestable valeur de la bataille de Magenta.

Grâce à cette victoire, qui confirme le succès d’une opération militaire regardée par quelques-uns comme téméraire avant que l’événement ne l’eût justifiée, les Autrichiens sont obligés de changer leur système de guerre en Italie. C’était pour prendre l’offensive militaire qu’ils avaient commis la grande faute politique de rompre la paix les premiers, et de soustraire la question italienne à l’arbitrage diplomatique de l’Europe ; c’est l’impatience de la cour militaire de l’empereur d’Autriche qui l’avait poussé à cette extrémité, et parmi les influences qui ont entraîné ce souverain, on peut évidemment compter celle de son aide-de-camp favori, le comte Grünne, et du général Giulay lui-même. Or l’Autriche a subi tous les mauvais effets politiques de l’initiative de la guerre, et n’a su en recueillir aucun des avantages militaires. En même temps que deux systèmes politiques, deux systèmes militaires étaient, dit-on, en lutte dans les conseils de l’empereur François-Joseph. L’un, celui des impatiens, voulait porter la guerre dans le Piémont ; l’autre conseillait une puissante défensive au cœur des forteresses qui gardent les lignes du Mincio et de l’Adige. Le système défensif avait pour lui, assure-t-on, le premier stratégiste de l’armée autrichienne, le chef d’état-major du maréchal Radetzky pendant les campagnes de 1848 et 1849 ; le général Hess. C’est à ce système que l’empereur d’Autriche est obligé de se rallier aujourd’hui. L’armée autrichienne ne défendra ni l’Adda, ni l’Oglio ; toutes les forces de l’empire se concentrent, et nous attendent derrière le Mincio, où nous ne tarderons pas à les joindre. Cette défensive est redoutable, nous ne nous le dissimulons pas, bien que nous soyons sûrs que l’énergie de notre armée en viendra à bout ; mais l’Autriche s’y résigne après avoir donné à l’Europe le spectacle de son infériorité militaire avérée vis-à-vis de la France, après avoir affaibli et fatigué son armée, après avoir moralement abdiqué sa domination sur la Lombardie.

C’est en effet un acte politique dont les conséquences sont bien vastes que cette occupation de la Lombardie par les armées alliées, qui permet aux populations lombardes de manifester avec une évidence irrésistible leur antipathie pour la domination étrangère et la volonté unanime d’être indépendantes et libres. L’en chercherait vainement à rendre ces manifestations