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lés à Rome stornelli (diminutif de ritournelle) la place même que doivent occuper ces répétitions singulières est fixée par la poétique du genre.


« À tes vitres se présente la lune, ô Crezia, pour admirer ton beau visage. Ah ! si j’avais le bonheur d’être un de ses rayons, c’est dans cette chambre que je découvrirais le paradis. Puissé-je me changer en l’un de ces petits plants de narcisse que tu tiens sur ta fenêtre, et que tu caresses de ce doux sourire (risolino) qui les parfume !

« Fleur de laitue, tu es si belle que tout l’or du monde ne te paierait pas. Je le dis, je le jure, fleur de pimprenelle, tu ressembles à une madone de San-Luca. À la surlana (danse populaire), tu bondis si légère, qu’on dirait d’un chevreau, fleur de roquette ! Je le dis, je le jure, fleur d’aubergine, tu es le soleil de la montagne.

« Fleur de froment, le jour que, du mont Testaccio, je te vis, ô ma belle, descendre à pas lents, et de ta main gauche élever le tambour de basque, les tresses pleines de grosses épingles d’argent, soudain, devenu froid comme glace et te regardant avec stupeur : Non, me suis-je écrié, non, dans Saint-Pierre je n’ai vu sculpté ni peint si beau visage.

« Fleur de jachère, mille muguets t’entourent et guettent leur proie ; le rocher n’a pas tant de jeunes merles, ni la villa Borghèse tant de citronniers. Mais ce qui me fait dormir mal la nuit, c’est une certaine tige qui court les églises. Fleur de foirole et fleur de ciste, je la ferai sauter en bas du Ponte Sisto.

« Mais, Crezia, je suis pour toi le chien qui aboie, car, cruelle, tu ne m’écoutes pas, tu fais la sourde oreille. Déjà je suis plus enroué qu’un geai ; déjà une corde est cassée à ma mandoline. Fleur de ceci et fleur de cela, je te nomme par centaines toutes les herbes que je me souviens d’avoir vues fleurir dans les prés ; mais tu n’entends pas ou ne veux pas entendre.

« Tu me fais grand tort, douce petite bouche, de mépriser mon amour, parce que je n’ai pas toujours un sequin à dépenser, parce mon métier est d’être rôtisseur. Tu ne remarques pas assez qu’un comte palatin, un milord anglais, un monsignore ne peuvent prendre avec moi le haut du pavé ; car mon sang, per Dio, est sang romain.

« Il est vrai, je suis rôtisseur à Sauf Andréa, mais je n’ai de compte ouvert chez personne ; si je suis pauvre, je suis honnête, et sais, quand il le faut, rester à jeun. Je n’ai point sur le dos les galons de la livrée ; je vis de mes sueurs, et je ne sers personne. Je ne suis ni palefrenier, ni maquignon, ni porte-queue, ni garde-portes.

« Ce n’est pas pour dire, mais les jours de fête, quand j’ai ma jaquette de velours, mon réseau garni de plumes, mes boucles d’argent et mes souliers pointus, Crezia, ce n’est pas pour dire, mais ainsi ajusté je ne crains pas d’être comparé à tous ces galantins. Et quand je passe : C’est lui, disent les filles, c’est lui qui est le coq.

« Trouve-moi quelqu’un qui vaille mieux que moi pour arrêter à la tête les chevaux barbes sur le Corso, pour renvoyer le ballon d’une main aussi sûre, pour faire rouler l’ours à terre quand il s’avance dressé sur ses pattes