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« Le SYLPHE. — Veux-tu, mon seigneur, prendre quelque repos sous ces ombrages ? Assieds-toi sur cette tendre mousse que je viens d’arracher brin par brin et de mêler à la molle verbasque. Assieds-toi, mon seigneur, assieds-toi, et laisse-moi voler ici près aux endroits où, riante et modeste, la douce népenthe ouvre dans l’herbe ses belles fleurs. Dans la fraîche rosée, je reviendrai laver tes pieds sacrés.

« L’ANGE. — Je ne demande pas de toi, aimable Oriel, de telles preuves d’amour. Si tu m’aimes du fond de ton cœur, ce que j’y lis confusément, si tu désires répondre à mes plus intimes sentimens et jouir de l’harmonie qui unit les âmes, abandonne, Oriel, les erreurs de l’enfance, oublie les vains plaisirs, et, guidé par mon regard, efforce-toi de revenir à Dieu.

« LE SYLPHE. — mon céleste ami, si mon âme se plaît ici-bas, si je voltige, si je folâtre, ce n’est pas sans d’honnêtes motifs. Tandis qu’à l’aventure j’erre sous ces ombrages, et que je cherche l’aimable repos dans cette maison, là-bas, y entrant tantôt enveloppé d’un beau rayon de lune, tantôt sous les ailes d’un timide papillon, au milieu des violettes cueillies, ou d’autre manière encore, je contemple les suaves aspects de la vertu, les chastes plaisirs des âmes innocentes, l’ardeur vive et pudique d’un amour bien placé, car ce spectacle est, je pense, digne du ciel, et j’y trouve de nobles enseignemens. De ce seuil, ô seigneur, n’approche point un infortuné, qu’il ne s’en retourne à moitié consolé. Là se trouvent une mère chargée d’ans et son fils, homme de bien ; au milieu d’eux, l’épouse aimée, tenant un enfant sur son sein, surveillant l’autre au berceau et reportant sur tous ceux qui l’entourent ses soins vigilans. Elle donne largement au pauvre, à celui-là surtout qui par pudeur ne demande pas. De sa main prévoyante, elle entretient au foyer chéri l’ordre, la propreté, l’abondance, et vers le mari qu’elle aime elle se tourne gracieuse, comme la rose vierge vers le soleil levant. »


L’ange sourit et cherche de l’œil la maison indiquée. Presque aussitôt il en voit sortir une pauvre fille, qui était venue mendier pour sa vieille mère malade. Elle a reçu quelque monnaie, discrètement enveloppée. Une fois hors de vue, elle déplie, elle regarde: c’est de l’or, de l’or en abondance. Elle s’agenouille et se répand en pieuses bénédictions. L’ange bénit ces honnêtes gens dans son cœur, leur souhaite les prospérités terrestres jusqu’à la troisième, jusqu’à la quatrième génération, et, renonçant à ses velléités de conversion, il s’enfuit aux cieux. Les détails sont charmans, et cette protestation en faveur de la dignité humaine contre l’excès de détachement prêché par le christianisme mérite qu’on y applaudisse.

L’idylle intitulée Rispetti (chanson d’amour) di un Trasteverino appartient au genre populaire et se fait remarquer en même temps par un tour original et un rhythme harmonieux. M. Mamiani y reproduit avec une vérité qui n’exclut pas la poésie l’une de ces romances que le paysan romain chante sous la fenêtre de sa maîtresse, et où les fleurs jouent un si grand rôle. Le lecteur jugera peut-être qu’il y en a trop, mais il ne doit pas oublier que dans les chants appe-