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lui témoignaient, il eût rougi d’attacher son nom à une si sauvage spoliation. Son refus, nettement exprimé, excita parmi les auxiliaires, comme on devait le prévoir, une tempête violente ; de la mutinerie ils passèrent à la révolte. Au premier rang des mécontens se distinguait un homme qu’à sa haute taille, à la hardiesse de ses discours, à l’entraînement qu’il exerçait sur ses grossiers compagnons, on reconnaissait tout d’abord pour l’ancien soldat d’Oreste, le Ruge Odoacre, arrivé dans le corps des domestiques à quelque grade encore subalterne. Il promit à ses camarades de les mettre en possession de ce qu’ils demandaient, s’ils l’agréaient pour chef, et ceux-ci le nommèrent sans hésiter. La guerre dès lors commença. Odoacre, placé au pied des Alpes, en communication facile et prompte avec les peuples du Danube, appela à lui tout ce qui voulut s’enrôler parmi les Ruges, les Alains, les Turcilinges et les Scyres. Ces Barbares vinrent en grand nombre rejoindre leurs frères en Ligurie, et formèrent avec eux une armée redoutable. Il paraîtrait même, à la manière dont quelques historiens s’expriment, qu’Odoacre en personne alla présider à ces levées, et que lorsqu’il reparut en Italie par le passage des Alpes tridentines, il ressemblait beaucoup plus à un envahisseur barbare qu’à un officier de l’empire romain.

Pendant ce temps-là, Oreste, résolu à ne point céder, concentrait dans Ravenne tout ce qui restait à l’Italie de troupes fidèles, et quoiqu’elles fussent clair-semées et travaillées elles-mêmes par des fermens de discorde, il prit l’offensive contre Odoacre. La première rencontre eut lieu dans la plaine de Lodi, appelée alors Laus Pompeia. Affaibli par la désertion d’une partie des siens, le patrice dut se réfugier derrière le Lambro, afin de couvrir du moins les approches de Pavie, qu’on regardait dès ce temps comme la plus forte des villes liguriennes. Suivant une tradition en vigueur au moyen âge et recueillie par les écrivains italiens, il se retrancha dans une position avantageuse, près des collines qui portent aujourd’hui le nom de San-Columbano ; mais Odoacre, par une manœuvre hardie, remonta le Lambro, qu’il franchit à gué vers son cours supérieur, et revint lui-même, par la rive droite, couper à son ennemi le chemin de Pavie. À quelques milles du camp impérial, il s’arrêta, offrit la bataille pour le lendemain, et fit les préparatifs d’usage. Ses bataillons serrés et sa nombreuse cavalerie, nous dit la tradition, débordaient au loin de la plaine sur la montagne. Oreste désespéra de la victoire, et, décampant silencieusement au milieu de la nuit, il se dirigea vers Pavie. Ses retranchemens tombèrent au pouvoir d’Odoacre, qui les occupa. On voyait encore dans ce lieu, au XVe siècle, les vestiges d’ouvrages romains indiquant le