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sagement préconçu, appliqué sur toute la surface du pays, en employant toutes les ressources de la science, respecté et suivi de génération en génération. Un gouvernement qui ne vit pas au jour le jour, mais qui, les yeux fixés sur l’avenir, veut travailler pour les générations futures, fait preuve de sagesse, de prudence et de patriotisme en procédant à une statistique des forêts destinée à faire connaître au peuple l’importance de ses richesses forestières et la manière dont il doit en user[1]. »

Comprend-on après cela que le gouvernement français lui-même n’ait pas hésité, à différentes époques, à provoquer l’aliénation d’une partie des forêts domaniales ? Comprend-on surtout qu’un de nos plus grands financiers ait cherché à motiver de désastreuses opérations par la prétendue supériorité des propriétés privées sur les propriétés publiques, et par les revenus plus considérables que donnent toujours les premières[2] ? Ce raisonnement échafaudé sur un calcul erroné, et répété comme un axiome indiscutable à chaque nouvelle crise, a réussi, il est vrai, à arracher à nos assemblées délibérantes les différens votes qui ont porté à 328,000 hectares l’étendue des forêts domaniales aliénées depuis 1814 seulement ; mais il n’a jamais pu convaincre l’opinion publique, qui s’est toujours prononcée contre ces opérations : elle prévoyait en effet que ces forêts ainsi vendues étaient fatalement condamnées à disparaître, et qu’un jour viendrait où l’état aurait à racheter ces terrains dénudés et à les reboiser au prix de sacrifices bien autrement considérables que le bénéfice que lui procurait cette vente irréfléchie. C’est en effet à créer des forêts nouvelles partout où l’intérêt général l’exige, et à assurer, même au prix de l’expropriation, la conservation de toutes celles dont l’influence climatologique est manifeste, que l’état doit tendre, bien loin d’aliéner celles qu’il possède encore. C’est à ces conditions seulement que la liberté du défrichement pourra être accordée à celles qui ne sont pas dans ces conditions, et qu’il en résultera une meilleure distribution du sol forestier. Les

  1. Les Forêts dans l’état de Massachusetts, par M. A. F. d’Héricourt. Annales Forestières, avril 1857.
  2. Voici comment s’exprimait M. Laffitte en 1831 pour justifier le projet d’aliéner 300,000 hectares de bois domaniaux : » Nous pourrions ajouter ici beaucoup d’autres considérations, connues de tout le monde, sur le peu d’aptitude de l’état à être propriétaire, et sur l’avantage de faire passer les propriétés publiques aux mains des particuliers… Les bois en général ne rendent, que 2 ou 2 1/2 an plus à l’état ; transportés aux particuliers, ils rendraient par les mutations ou l’impôt foncier 1 1/2 au moins pour 100, c’est-à-dire les deux tiers environ de leur revenu actuel. L’état en aurait donc en caisse la valeur, et retrouverait par l’impôt une partie du produit. Les particuliers on retireraient aussi de leur côté un revenu supérieur à celui qu’en retirait l’état. La supériorité de l’industrie individuelle explique ces différences. »