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ruraux : le pin maritime s’y associe aux cultures qui conviennent spécialement à ces terrains de landes ; pendant vingt ou vingt-cinq ans, il leur fournit des détritus qui permettent d’y cultiver ensuite sans fumure et sans autre dépense que les façons aratoires, pendant un certain nombre d’années, du seigle et du sarrasin. Lorsque la terre est épuisée par cette série de cultures, de nouveaux semis de pins maritimes lui rendent sa fertilité et font de nouveau place, après vingt-cinq ans, au seigle et au sarrasin. Dans cette rotation, le pin maritime joue le rôle d’une jachère doublement productive, puisque, outre les matières ligneuses qu’il fournit, il donne au sol l’engrais qui lui est indispensable. Ses aiguilles sont en outre très recherchées comme litière pour les bestiaux et considérées comme supérieures à la paille. Le plus souvent la faculté d’enlever ces aiguilles dans les pineraies fait l’objet de clauses spéciales consignées dans les baux.

Les forêts sont destinées à pourvoir la société des bois de toute espèce dont elle a besoin, et moins qu’aucune autre industrie peut-être, l’agriculture peut se passer de bois. Supprimez les forêts, et vous n’avez plus ni abri, ni charrue : vos champs incultes ne suffisent plus à nourrir vos bestiaux errans ; du même coup vous avez tué l’agriculture. La disette de bois est une cause de misère extrême, dont M. Blanqui, dans un rapport sur la situation des départemens des Alpes présenté en 1843 à l’Académie des Sciences morales et politiques, a fait un tableau navrant. Il a vu les habitans de cette contrée déshéritée réduits à se chauffer avec de la bouse de vache desséchée au soleil, et à briser à coups de hache le pain que, faute de combustible, ils étaient obligés de cuire en une seule fournée pour l’année tout entière[1]. Sans le bois, que devient la vigne, cette culture française par excellence ? Ne sont-ce pas les châtaigniers qui donnent les échalas autour desquels viennent s’enrouler les ceps ? N’est-ce pas du chêne qu’on tire le merrain dont sont faits les tonneaux, et l’écorce du chêne-liège ne fournit-elle pas les bouchons destinés à conserver le précieux liquide ? Enfin n’est-ce pas le bois, quelle que soit son essence, qui met en action les nombreux alambics qui transforment le vin en eau-de-vie ? La vigne occupe aujourd’hui 2 millions d’hectares environ de notre territoire, qui peuvent produire, année moyenne, de 200 à 220 millions d’hectolitres. Qu’on réfléchisse à la perturbation qu’une pénurie de bois, même momentanée, apporterait directement à cette seule branche de l’agriculture.

  1. Des faits de même nature ont été signalés dans la Lozère, par le préfet de ce département, à la dernière session du conseil-général.