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de la civilisation ? Parcourez l’Asie-Mineure, la Grèce, l’Espagne, l’Italie : vous y trouverez les traces d’une végétation autrefois puissante, mais disparue depuis, et qui n’a laissé après elle que l’aridité du désert ; avec les forêts qui les couvraient s’est évanouie une prospérité que rien n’a pu leur rendre encore. Aussi n’est-ce pas sans raison que les arbres avaient été placés autrefois sous la protection de la Divinité, car, le jour où ce respect salutaire ne les défendit plus, ils tombèrent sous les coups d’une multitude stupide, ravie comme toujours de brûler ce qu’elle avait adoré. Il y avait cependant quelque chose de touchant dans ce sentiment religieux qui consacrait au culte du Créateur l’œuvre la plus majestueuse de là création. S’il se rencontre encore aujourd’hui quelques hommes chez lesquels il semble avoir survécu, le plus grand nombre malheureusement est insensible à tout ce qui ne peut s’évaluer en francs et en centimes. En présence d’une pareille disposition des esprits, peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt de montrer comment les forêts, après avoir été l’instrument de notre émancipation, ont de tout temps été l’auxiliaire de l’agriculture, et sont encore aujourd’hui indispensables à son existence. Cette question a d’autant plus d’opportunité qu’une réaction marquée paraît depuis quelques années s’être manifestée en faveur des questions agricoles, autrefois si négligées. Pour que ce mouvement ne reste pas stérile, il faut connaître l’influence de la propriété forestière sur la propriété rurale. L’examen des lois spéciales qui les régissent l’une et l’autre permettra de préciser le rôle économique des forêts dans l’élaboration des produits de la terre tel qu’on commence à le comprendre, si nous en croyons quelques écrits récens, en France comme en Allemagne.


I

Le rôle des forêts sur la terre a commencé bien avant l’apparition de l’homme : c’est remonter un peu haut sans doute ; mais il n’en est pas moins utile de constater que leur première fonction a été de rendre notre planète habitable et de la préparer à recevoir son maître. Quand il parut, elles avaient déjà brisé le roc sous l’étreinte de leurs racines et fourni à ses élémens désagrégés les détritus qui devaient former la terre végétale ; elles avaient dépouillé l’atmosphère de l’énorme quantité d’acide carbonique qu’elle renfermait, et l’avaient transformée ainsi en air respirable. Les arbres entassés sur les arbres avaient déjà comblé les étangs et les marais, et enfoui avec eux dans les entrailles de la terre, pour nous le rendre, des milliers de siècles plus tard, sous forme de houille et d’anthracite, ce même carbone qui, alors si nuisible, devait, par cette merveilleuse condensation, devenir un jour une richesse si précieuse