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d’eau. Les graines d’une foule de plantes sont bordées de membranes garnies d’aigrettes ou de chevelures qui leur permettent de voltiger dans les airs pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’elles viennent s’abattre là où elles doivent germer. L’atmosphère contient en suspension des parcelles d’animaux et de plantes qui flottent en tous sens et les germes innombrables d’animalcules infusoires qui n’attendent qu’un milieu favorable pour se développer. On sait l’incroyable quantité de certains insectes qui apparaissent tout à coup en véritables nuées et obscurcissent souvent le ciel par leur prodigieuse accumulation. Tels sont les criquets voyageurs, qui, à certaines époques, se jettent par bandes épaisses sur les forêts de l’Amérique et en dévorent le feuillage. L’auteur d’intéressans souvenirs de voyage publiés par la Revue[1], M. Th. Lacordaire, raconte qu’il vit deux années consécutives, au printemps, la ville de Buenos-Ayres envahie par un coléoptère, l’harpalus cupripennis, arrivant par milliers à l’entrée de la nuit. Pendant une semaine que dura chaque fois cette invasion, il fallait tous les matins balayer les rues, où ces insectes s’étaient accumulés à une hauteur de plusieurs pieds au-dessus du sol.

Ce ne sont pas les petits animaux seulement qui encombrent l’air de leurs essaims. Les oiseaux sont en bien des endroits, surtout dans les forêts des contrées tropicales, singulièrement multipliés. Le plus grand ornithologiste de notre siècle, Audubon, observant un jour le passage des pigeons sur les bords de l’Ohio, compta en vingt et une minutes 163 colonnes de ces oiseaux voyageurs, et se livrant à une évaluation géométrique pour estimer le nombre des pigeons compris en moyenne dans chacune de ces bandes émigrantes, il arriva au chiffre incroyable de 2,115,150,000. Et voyez quel immense développement de la vie végétale exige cette population ailée ! Le même Audubon estime que la quantité de grains nécessaire pour subvenir chaque jour à une telle multitude n’est pas moindre de 8,712,000 boisseaux.

Les animaux et les végétaux ne sont pas seulement répandus sur la surface du globe et dans les couches contiguës de l’atmosphère : ils fournissent à la terre des moyens continuels d’accroissement ; les débris des plantes et des animaux contribuent à l’exhaussement du sol. Tout le monde sait quel amas prodigieux de terre végétale se forme à l’ombrage des forêts du Nouveau-Monde, quels dépôts profonds de tourbe s’opèrent dans les marais de certaines contrées basses et submergées. Les déjections des animaux, qui fournissent un engrais si puissant, constituent en certains lieux de véritables couches ; le guano, qui s’accumule à plusieurs mètres d’élévation

  1. Voyez les livraisons du 15 décembre et 1er février 1832, du 1er janvier 1835.