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le meilleur ami d’Adam, si le nom d’ami peut être employé pour exprimer les relations affectueuses entre deux personnes de conditions aussi différentes que le charpentier Adam Bede et le aquirc Arthur Donnithorne. Elle fut séduite et se rendit coupable du crime d’infanticide. Le cœur d’Adam fut déchiré, et pendant longtemps il lui sembla qu’il ne serait jamais guéri, et que sa blessure saignerait toujours. Il ne voulut pas d’abord de consolations, et lorsque son bon vieil ami, le maître d’école du village, l’exhorta à prendre courage, en l’assurant qu’un bien sortirait infailliblement de ce mal, il se révolta avec fierté et refusa de le croire. Son sens moral blessé lui dicta même quelques paroles d’une colère éloquente : « Le bien en sortira ! Vraiment, cela corrige-t-il le mal ? Sa ruine à elle ne peut être défaite. Je déteste cette manière de parler des gens, comme s’il y avait moyen de corriger tout ce qui arrive ! Il aurait mieux valu qu’ils pensassent que le mal qu’ils font ne pourra jamais être corrigé. Lorsqu’un homme a ruiné la vie de son semblable, il n’a aucun droit de se consoler en songeant que le bien peut en sortir. » Mais la nature qui veille sur nous n’a pas des sentimens aussi stoïques que ceux d’Adam, et se charge toujours de donner raison au consolant axiome du maître d’école. Sur les ruines de cet amour, un nouvel amour germa et prit naissance. Dinali Morris ne put contempler sans tendresse tant de souffrances si dignement supportées, elle sentit cette vocation religieuse qu’elle avait crue irrésistible s’amollir sous l’influence de la nature, et un jour elle mit sa main tremblante dans celle d’Adam.

Voilà toute l’histoire, elle est simple, comme vous voyez, et peut se raconter en quelques mots ; cependant l’auteur l’a déroulée en trois volumes sans crainte d’ennuyer le lecteur. Ce roman nous a fait éprouver une sensation que notre époque moderne fait rarement éprouver, la sensation délicieuse de la lenteur, cette fille du loisir aujourd’hui disparue du monde. Lire ce livre, c’est en quelque sorte faire une longue promenade solitaire au fond des bois, ou regarder pendant des heures du haut de sa fenêtre le même monotone spectacle, sans se soucier du temps qui fuit. Adam Bede ressemble tout à fait à cet ancien loisir dont l’auteur a si bien parlé, qui est parti avec les anciennes méthodes de travail et de pensée, qui remplissait l’ânie sans l’enfiévrer, et la laissait contente des premières impressions venues. Ce loisir connaissait la rêverie et ne connaissait pas la tristesse, il connaissait le travail et ne connaissait pas l’empressement fiévreux. Il ne se lassait pas de voir les mêmes visages, les mêmes spectacles, d’entendre les mêmes accens. Oh ! comme il était aimable, et combien est aimable aussi le livre minutieux et charmant qui nous en a reproduit l’image ! C’est une lecture rafraîchissante,