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autre, mais que personne ne voulait voir chez Hetty. « La beauté d’une jolie femme est comme la musique, dit l’auteur : que pouvons-nous dire de plus ? La beauté possède une expression supérieure à l’âme qu’elle recouvre, de même que les paroles du génie ont un sens plus profond que la pensée qui leur donna naissance. » Adam avait été vaincu par cette puissance mystérieuse qui dispose des hommes et des dieux. Ce n’était pourtant pas un caractère romanesque ni ce que nos modernes romanciers démocratiques appelleraient un artisan poétique et distingué, ce n’était pas davantage un esprit rêveur, tourné à la contemplation et à la dévotion sectaire, comme son frère Seth, le méthodiste ; c’était mieux que tout cela, car c’était un de ces robustes artisans qui sont les solides assises de la société anglaise. Il représente une chose admirable, cet Adam, et qui a fait en partie la grandeur de l’Angleterre : l’idée du travail. Pour tous les autres peuples, le travail a toujours été un frein, un châtiment, une conséquence du péché originel ; pour l’Anglais seul, il a été considéré comme une bénédiction, comme l’instrument de notre rédemption, comme la plus virile volupté qu’il soit donné à l’homme de goûter. Le travail était l’âme d’Adam, c’était sa poésie et sa religion. Il appliquait la devise des vieux moines bénédictins : laborare est orare. Dire que le travail était sa religion n’est pas une expression trop forte, car il l’estimait sans hésiter au-dessus de la prière ; ses idées à cet égard étaient d’une précision et d’une fermeté remarquables. « Il nous faut autre chose encore que l’Évangile dans le monde, répondit-il à son frère Seth, qui était trop enclin au contraire à placer la prière au-dessus du travail. Regardez les canaux, et les aqueducs, et les machines à extraire la houille, et les mécaniques d’Arkwright, qui sont là-bas à Cromford ; il faut qu’un homme sache quelque chose de plus que l’Évangile pour faire tout cela, j’imagine ! Mais à entendre ces prêcheurs, on croirait que ce que l’homme a de mieux à faire, c’est de fermer les yeux et de regarder ce qui se passe au dedans de lui. Je sais qu’un homme doit avoir dans son âme l’amour de Dieu et l’amour de la parole de Dieu. Et que dit la Bible ? Elle dit que Dieu mit son esprit dans l’ouvrier qui bâtit le tabernacle, afin de le rendre habile à sculpter le bois et à faire toutes les autres choses qui demandent une main adroite. Et c’est aussi mon opinion. L’esprit de Dieu est dans toutes les choses et dans tous les temps, pendant les jours de la semaine aussi bien que les dimanches. Dieu nous aide aussi bien par nos mains que par notre âme, et si un homme, en dehors de sa journée, trouve encore quelques bribes de temps pour bâtir à sa femme un four qui la dispense d’aller chez le boulanger, ou gratte son jardin de manière à lui faire rendre deux pommes de terre au lieu d’une, il fait