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lui ; pour vous, et vous vous détournez de lui, et vous n’êtes pas reconnaissans de ce qu’il a souffert pour vous ! Cependant il ne s’est pas lassé de travailler pour vous, car il a ressuscité d’entre les morts, et il prie pour vous à la droite de Dieu : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ! » Et il est encore sur la terre, il est parmi nous, il est tout près de vous maintenant ; je vois son corps saignant et ses yeux pleins d’amour. »

« Ici Dinah se tourna vers Bessy Cranage, dont la florissante jeunesse et l’évidente vanité l’avaient émue de pitié.

« Pauvre enfant ! pauvre enfant ! il vous parle, et vous ne l’écoutez pas ! Vous pensez à des pendans d’oreilles, aux belles robes et aux beaux bonnets, et vous ne pensez pas au Sauveur, qui est mort pour sauver votre âme précieuse ! Un jour vos joues seront sillonnées par les rides, votre chevelure grise, votre pauvre corps maigre et tremblant ! Alors vous commencerez à sentir que votre âme n’est pas sauvée ; alors vous aurez à comparaître devant Dieu avec tous vos péchés et vos vaines pensées, et Jésus, qui est tout prêt à vous assister maintenant, ne vous assistera pas alors, et il sera votre juge, parce que vous n’aurez pas voulu de lui pour votre sauveur. Maintenant il vous contemple avec amour et pitié, et dit : « Venez à moi, afin que je vous donne la vie ! » Mais alors il se détournera et vous dira : « Partez loin de moi, et allez au feu éternel ! »

« Les grands yeux noirs de la pauvre Bessy commencèrent à se remplir de larmes, ses grosses joues et ses lèvres roses devinrent presque pâles, et sa figure fut bouleversée comme celle d’un petit enfant au moment où ses larmes vont couler.

« Ah ! pauvre enfant aveugle, pensez donc un peu : s’il vous arrivait ce qui arriva une fois à une servante de Dieu dans les jours de ses vanités ! Elle ne pensait qu’à ses bonnets de dentelles, et elle employait tout son argent à les acheter ; elle ne songeait pas à avoir un cœur net de souillures et un esprit droit, elle ne songeait qu’à avoir de plus belles dentelles que les autres filles, et un jour qu’elle avait mis un nouveau bonnet et qu’elle se regardait dans son miroir, elle vit une figure saignante couronnée d’épines. Cette figure vous regarde maintenant ! (Ici Dinah indiqua une place juste en face de Bessy.) Ah ! dépouillez ces folies, rejetez-les loin de vous comme si elles étaient des vipères venimeuses ; elles blessent et empoisonnent votre âme, elles vous entraînent dans un gouffre noir et sans fond, où vous enforcerez éternellement loin de la lumière et de Dieu ! »


J’ai cité longuement sans trop songer si le lecteur prendrait à écouter ce discours le même plaisir que moi ; mais il me semble en vérité qu’il réunit la plupart des qualités nécessaires à la prédication populaire : l’appel direct à l’imagination matérielle, la naïve adresse de l’enthousiasme habile à transformer des idées et des sentimens en faits réels et palpables, le parfait rapport des idées exprimées avec les esprits des auditeurs, 1 étroite conformité entre le prédicateur et l’auditoire. Cependant cet auditoire rustique n’était pas celui que préférait Dinah, car ses paroles passaient sur lui sans laisser plus de traces que les pluies de l’orage sur la campagne