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plus de fracas possible quelques tambours qui leur étaient tombés sous la main. Au bruit de cet instrument, inusité en Grèce avant l’arrivée des philhellènes, les Turcs s’imaginèrent qu’un grand nombre d’étrangers se trouvaient parmi les défenseurs de la ville. Leur erreur était telle qu’au bout de peu de jours Omer-Brionès proposa d’entrer en pourparlers. Botzaris et le président saisirent avidement cette occasion de faire traîner les choses en longueur, en attendant quelques renforts qui, selon toute apparence, n’étaient retenus que par la présence des vaisseaux turcs. En conséquence, Marc d’un côté, Hagos Bessiaris de l’autre, se rencontrèrent à une portée de pistolet de la ville pour entamer les négociations. Après trois entrevues sans résultat, dans l’intervalle desquelles on continuait à se fusiller de part et d’autre, Botzaris comprit la nécessité de feindre un arrangement, afin de ne pas lasser la patience du général ottoman. Il fut convenu verbalement entre les deux plénipotentiaires que le président et ses hommes, Botzaris et trois cents familles se retireraient librement et avec tous leurs biens dans le Péloponèse, après quoi les clés de la ville seraient remises au pacha. Ce chiffre de trois cents familles n’était qu’un habile mensonge, un épouvantail destiné à maintenir l’ennemi dans son erreur et dans ses dispositions pacifiques. Une semaine fut accordée aux Grecs pour s’embarquer et passer le détroit. À partir de ce moment, les hostilités cessèrent. Dans son extrême amour de la vérité, Marc se reprochait à lui-même la légitime ruse de guerre qu’il avait imaginée pour intimider les musulmans et mener à bonne fin les négociations ; l’on nous a dit qu’en rentrant à Missolonghi il s’écria, en cachant son front dans ses mains : « O patrie, que de sacrifices tu m’as déjà coûtés ! Fallait-il donc y ajouter celui de mon honneur ! »

Les premiers jours de cette suspension d’armes furent marqués pour les Grecs par de cruelles angoisses. Les heures passaient, et les renforts espérés n’arrivaient point. Il semblait que la Grèce eût oublié Missolonghi. « Nous étions dans une terrible anxiété, me disait le vieux prêtre dont je parlais tout à l’heure ; nous craignions à chaque instant que ces chiens de Turcs (car jamais il ne prononçait ce dernier mot sans y accoler quelque épithète de cette nature), soit qu’ils revinssent sur leur résolution, soit qu’ils s’aperçussent qu’on se moquait d’eux, ne se jetassent sur nous. Qu’aurions-nous fait, trois cents contre dix mille ? Avec quelle effrayante rapidité le temps marchait ! Nos regards consultaient tous les points de l’horizon pour y découvrir une espérance de salut : rien ne paraissait, et les trois frégates turques faisaient bonne garde. Des cierges brûlaient constamment dans nos églises devant les autels de la Panagia ; nous demandions au ciel la faveur d’une nuit obscure ou d’une tempête, afin que les hardis marins d’Hydra trouvassent ainsi l’occasion