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des armes dépourvues de tout ornement. Son seul luxe consistait en une ceinture de lin d’une éclatante blancheur, ouvrage de sa sœur Angélique. Colocotroni, décontenancé par le contraste que la richesse de sa mise formait avec l’accoutrement austère et martial du capitaine de Souli, parla peu, s’assit à peine, et abrégea une visite qui l’embarrassait ; mais il revint le lendemain matin, portant cette fois ses anciens vêtemens de klephte : une calotte rouge posée sur le sommet de la tête, une fustanelle toute percée de balles, un cime terre rouillé, sa longue carabine passée en bandoulière. À son aspect, Botzaris courut au-devant de, lui, et le prenant dans ses bras : « À la bonne heure, frère, s’écria-t-il, te voilà comme un pallikare ; je te reconnais à présent, embrassons-nous. »

Il ne paraît pas que ces deux hommes se soient rencontrés ailleurs qu’à Gorfou et à Corinthe. Colocotroni, le plus puissant capitaine de la Morée et l’un des klephtes les plus résolus que la Grèce ait produits, n’en voua pas moins à Botzaris, malgré de grandes dissemblances de caractère, un attachement qui ne se démentit jamais. Il l’engagea à prendre le commandement des troupes, qui se disposèrent aussitôt à partir pour la Selléide. Botzaris refusa cet honneur. Le chef des Souliotes voulait que l’intervention de la Morée dans les affaires de l’Épire prît le caractère d’une grande manifestation nationale, et qu’on vît bien par là que les diverses provinces de la Grèce étaient prêtes à s’unir étroitement et ne formaient qu’un seul peuple. Aussi détermina-t-il le président du gouvernement lui-même, Mavrocordato, à se mettre à la tête de ses troupes. Peu de jours après (mai 1822), le président arrivait à Patras, passait à Missolonghi, et s’acheminait vers l’Épire avec une armée qui comptait dans ses rangs un grand nombre de philhellènes français, allemands, italiens, polonais. Cette petite armée offrait pour la première fois à son pays l’exemple d’un corps de troupes régulièrement organisé, car on y remarquait un régiment grec tout entier dressé et commandé à l’européenne. C’était un noble effort, et à coup sûr l’une des plus grandes preuves d’abnégation et de patriotisme que pussent donner ces hommes, que de renoncer à la vie libre des klephtes, à leurs habitudes d’indiscipline et à leurs goûts aventureux.

Mavrocordato s’associait pleinement à la pensée de Botzaris ; il comprenait comme lui la nécessité de sauver l’Épire et d’y concentrer la guerre. On lit en effet dans l’histoire de M. Tricoupi : « La résistance de Kiapha arrêtait seule les armées de Kourchid, prêtes à se jeter dans l’Acarnanie. La Grèce avait donc un intérêt immense à conserver ce poste avancé et à transporter le théâtre de la guerre sur le territoire de l’Épire. C’est pourquoi, à peine débarqué à Missolonghi, Mavrocordato résolut d’établir un camp au-delà