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et il engageait leurs députés à descendre aussitôt après sur la plage de la douane, où une embarcation les attendrait[1]. Marc Botzaris n’hésita point à se rendre à l’invitation du vizir avec trois autres capitaines. Ali-Pacha mit tout en œuvre pour persuader à ses anciens ennemis que leur intérêt était de s’unir étroitement à lui, et, afin de ne leur laisser aucun doute, il déroula sous leurs yeux un firman impérial récemment intercepté par ses agens dans les gorges du Pinde. Ce firman autorisait Ismaël à massacrer tous les chrétiens de l’Épire, en commençant par les Souliotes.

Les capitaines grecs se décidèrent à souscrire au traité d’alliance offensive et défensive que le vizir leur proposait : Ali s’engageait à mettre les Souliotes en pleine possession de leur pays, et le jour suivant fut fixé pour l’échange des otages. Parmi ceux des Grecs, on vit figurer le frère, la femme et les enfans de Botzaris. Ce dernier avait réclamé vainement pour lui-même le périlleux honneur de répondre auprès de leur nouvel allié de la bonne foi de ses compatriotes. Toute la tribu, qui plaçait en lui ses espérances, s’était opposée à son départ ; mais Botzaris voulut qu’on livrât en otages ses enfans et sa femme, cette Curyséis célèbre par ses vertus autant que par sa beauté. De son côté, Ali remit aux Grecs le plus jeune et le plus aimé de ses fils, Hussein-Pacha ; il posa seulement pour dernière condition que la tour de Kiapha resterait en son pouvoir, qu’elle servirait de demeure à son fils, et que les Albanais n’en seraient pas chassés. Les Souliotes acceptèrent sans difficulté cette nouvelle clause, ignorant qu’une redoutable forteresse avait remplacé la tour de Kiapha, qui autrefois n’eût pas contenu plus de cinquante hommes. La nuit suivante, ils prirent le chemin des montagnes. Marc, dont le caractère chevaleresque ne s’accommodait pas d’une fuite nocturne, refusa de quitter sa tente avant le jour, et resta avec un petit nombre de compagnons résolus. Au lever du soleil, il marcha contre les avant-postes turcs, leur envoya quelques balles pour leur annoncer sa défection, et s’élança, sans être poursuivi, sur la trace de ses compatriotes, qu’il rejoignit vers le soir (décembre 1820). La surprise et le désappointement des Souliotes furent extrêmes, lorsqu’à leur entrée dans la montagne ils aperçurent les murailles menaçantes élevées sur l’emplacement de l’ancien pyrgos de Kiapha. Ils se bornèrent à intercepter toutes les avenues de cette citadelle par des postes nombreux confiés à leurs meilleurs pallikares ; ils firent en même temps savoir au vizir qu’ils allaient tenir son fils étroitement enfermé dans Souli jusqu’à ce que les clés de Kiapha leur fussent remises.

Le théâtre sur lequel la guerre allait se trouver transportée demande

  1. Chronographie de l’Epire, par Aravantinos.