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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

dire un mot à Marguerite, qui était parvenue à se débarrasser de Marioutete. Deux ou trois vielleurs s’installèrent sur l’arène et dispensèrent le son à de nombreux groupes de danseurs, qui voulaient compléter les fatigues et les plaisirs de la journée.

Quand Frix entra dans l’auberge, elle était pleine de buveurs qui discutaient les incidens de la fête. Angoulin, Moucadour et Jean Cassagne étaient au milieu des groupes. On parlait du mérite des divers écarteurs. Les gens de Sainte-Quitterie élevaient Frix aux nues. Lui seul, disaient-ils, avait attendu les taureaux ; les autres avaient escamoté les écarts. Moucadour défendait les écarteurs étrangers, et soutenait que Frix n’avait rien fait qui dût le mettre au-dessus des autres. Cette opinion souleva des récriminations violentes. La majorité des buveurs était disposée en faveur de Frix. Les railleries et les injures commençaient à pleuvoir sur Moucadour, qui semblait prendre un malin plaisir à déprécier l’écarteur favori de la multitude.

— Attendez à demain, dit-il, vous verrez qu’il n’en fera pas plus que les autres.

— C’est ce que nous verrons en effet, dit Frix en se montrant.

— Ah ! tu étais là ? dit Moucadour.

— Oui, à ton service. Tu dis que je n’ai pas fait mon devoir ?

— Je ne dis pas cela, répondit Moucadour en riant d’un mauvais rire. Tu as fait tout ce qu’on peut attendre d’un jeune homme, et dans quelques années tu pourras valoir autant que les autres ; mais tu n’es pas encore un homme de premier prix, et il faut laisser passer les maîtres.

— Les maîtres ! s’écria Frix. Dis-leur de faire ce que je ferai demain. Je mettrai sous mes pieds le béret que voici à dix pas de la loge, j’attendrai le taureau à sa sortie, et mes pieds ne quitteront pas le béret.

En disant ces mots, il jeta son béret sur la table. Le béret était noir, petit comme le sont en général ceux des Landais. Il avait à peine la dimension d’une assiette.

— Cela s’est fait bien des fois, dit Moucadour en ricanant ; il y a des taureaux que j’oserais moi-même attendre dans cette position.

— Tu choisiras le taureau.

— Si tu fais cela, tu auras mérité le prix, dit Cassagne.

— Et il faudra qu’Angoulin le lui donne, crièrent des voix dans la foule.

— Et cela lui fera mal au cœur, ajoutèrent d’autres voix.

— Cela se fera ainsi, dit Frix à haute voix, ou que je sois le dernier des lâches !

— Heu ! dit Moucadour froidement, on verra demain ce que vaut ta parole.