Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/796

Cette page n’a pas encore été corrigée

790 REVUE DES DEUX MONDES.

foi, — les Fauberton n’avaient pas eu de successeur en ligne directe, et c’était toujours un neveu qui, après avoir intégralement recueilli l’héritage, le transmettait à son tour au collatéral de son choix. En 1815, le colonel achille Fauberton, l’illustration de la famille, était rentré dans ses foyers avec sa demi-solde et dix-sept blessures qui l’avaient considérablement défiguré. Le digne homme n’était pas sans vocation pour le mariage ; pourtant il eut la sagesse de faire comme ses grands-oncles, il resta garçon et appela près de lui son unique neveu, qu’il institua son héritier à l’exclusion de tous les autres membres de sa famille.

César Fauberton avait alors vingt-huit ans ; c’était un bel homme, un superbe cavalier, comme disaient les vieilles bourgeoises d’O... ; il avait des traits réguliers, un teint frais et blanc, de grands yeux noirs à fleur de tète et les plus belles dents du monde. Ses qualités morales répondaient à ses avantages physiques : il avait, — lui-même s’en vantait, — l’esprit qui plaît aux dames ; il était enjoué, galant, complaisant, audacieux à propos, et d’une certaine fatuité naturelle que rien ne pouvait déconcerter.

Le colonel se hâta de déclarer à son héritier qu’il entendait le marier, attendu que s’il restait garçon, la fortune des Fauberton passerait à des parens éloignés qu’il ne connaissait pas et dont il n’avait guère entendu parler. César ne fit aucune objection et assura simplement son oncle de sa parfaite obéissance. Celui-ci mit aussitôt en campagne maître Signoret son notaire, un homme qui, du fond de son étude, voyait clair dans toutes les fortunes et pouvait soupeser toutes les dots. 11 s’agissait de trouver un parti qui fût à la hauteur des trente mille livres de rente que le colonel devait laisser à son neveu. Comme rien de semblable n’existait à 0..., Mr Signoret chercha dans toute l’étendue du département. Il se présentait lui-même pour entamer les négociations et traitait, muni des pleins pouvoirs du colonel. D’abord tout allait pour le mieux ; il semblait qu’on était d’accord sur tous les points et qu’il n’y avait plus qu’à conclure ; mais aussitôt que César était consulté, les difficultés arrivaient en foule : tout en donnant son consentement de bonne grâce, il avait l’art de soulever une multitude d’objections qui rendaient la chose difficile d’abord et bientôt impossible. Sans avouer jamais sa vocation bien déterminée pour le célibat, il parvint ainsi à reculer indéfiniment tout engagement matrimonial ; mais le colonel ne se rebutait pas aisément : dès qu’un projet de mariage avait avorté, le vieux notaire se remettait en campagne et commençait une nouvelle négociation. Tout cela dura cinq ans passés.

Pendant ce laps de temps, le beau César eut des succès inouïs près des dames. Aucune vertu ne lui résistait ; il compromit plusieurs