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le second, bien moins nombreux, mais énergique, audacieux, étroitement uni et fortement organisé.

Ici vont se renouveler toutes les mesures déplorables dans lesquelles la fronde à Paris avait en vain cherché son salut, et qui en Guienne aussi ne pouvaient qu’amener une ruine plus honteuse. Après le combat de Saint-Antoine, nous avons vu Condé, avec le duc d’Orléans et Beaufort[1], s’adressant aux plus tristes passions, faisant venir de nouveau les hordes barbares du. duc de Lorraine, et mettant tout son espoir dans l’Espagne. De même à Bordeaux, depuis la fin d’octobre 1652, il donna l’ordre de s’appuyer ouvertement sur l’Ormée, à l’aide de la catholique Espagne, il tâcha de gagner l’Angleterre calviniste ; lui, prince du sang, il descendit jusqu’à caresser le fantôme de la république, pourvu que ce fantôme lui donnât des régimens et des vaisseaux ; il ne rougit pas de rechercher l’appui du régicide Cromwell et de faire appel au fanatisme des huguenots, se jouant ainsi de la religion, de la monarchie et de la France, et cela dans l’incertaine espérance de gagner un peu de temps et de prolonger à Bordeaux l’agonie de la fronde, tandis que lui, à la campagne prochaine, à la tête d’une armée espagnole, se ferait jour jusqu’à Paris. Insistons un moment ici pour faire mieux sentir le vice radical de la fronde. Il n’y avait point de milieu : il ne fallait pas tirer l’épée contre le roi, ou il fallait en arriver par degrés à toutes les extrémités où se précipitait Condé. Grâce à une heureuse inconséquence et à l’intelligente ambition de son frère, Turenne s’arrêta à moitié chemin. Condé et sa sœur ont été jusqu’au bout de la route fatale. Ne craignons pas de montrer l’étendue de leur égarement, pour justifier un jour l’étendue de leur repentir.

Condé avait l’esprit trop juste et trop ferme pour n’avoir pas reconnu que devant la toute-puissance nationale de la royauté la fronde n’avait d’autre appui solide que l’étranger, et il se donna entièrement à l’Espagne ; mais, sachant mieux que personne combien il était difficile à l’Espagne d’entretenir à la fois deux grandes armées, l’une dans le cœur de la France, l’autre en Guienne, il lui demanda de l’aider à obtenir de l’Angleterre les secours dont il avait besoin. L’Espagne était alors en effet en très bonne intelligence avec la Grande-Bretagne, tandis que la France excitait au-delà de la Manche une malveillance et une inquiétude profondes, parce qu’elle avait donné asile à la veuve de Charles Ier et à ses enfans, reconnu le prince de Galles comme roi d’Angleterre, et admis dans ses armées le duc d’York, qui s’instruisait sous Turenne dans cet art de la guerre qui aurait pu sauver le trône de Charles et qui pouvait le

  1. Revue du 1er mars, p. 207, etc.