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avec les instructions de son maître. Le parlement, par un arrêt solennel, interdit les assemblées de l’Ormée. Celle-ci répondit par la demande de l’expulsion de plusieurs membres du parlement qu’elle accusa d’être mazarins, et, prenant les armes, elle se porta contre les hôtels des conseillers suspects. Ces hôtels étaient situés dans un quartier de la ville appelé le Chapeau-Rouge, entre le château Trompette et le palais du parlement[1]. La petite fronde y était très puissante ; elle repoussa la force par la force, et il y eut bien des tués de part et d’autre ; Le prince de Conti n’étant pas alors à Bordeaux, il fallut que la princesse de Condé et Mme de Longueville sortissent de l’archevêché[2], où elles demeuraient, pour descendre dans la rue, et, en se jetant dans la mêlée, arrêter l’effusion du sang[3]. Le lendemain, l’un des chefs de l’Ormée osa se présenter chez Mme de Longueville, et lui dit qu’il y avait quatre mille hommes armés pour venger la mort de leurs camarades et brûler toute la ville, à la réserve des maisons de leurs altesses. La sœur de Condé le traita d’insolent et lui ordonna de sortir. C’est de Lenet lui-même que nous tenons ce dernier et curieux détail[4] : preuve évidente que Mme de Longueville ne soutenait pas l’Ormée dans ses emportemens ; mais, après avoir montré qu’elle savait résister à propos et avec courage, elle pensait aussi qu’il valait mieux diriger l’Ormée que d’essayer en vain de la détruire, et qu’il était d’une étrange politique de tirer à la fois l’épée contre la puissance royale et contre la puissance populaire. Condé en jugea de même, et voici ce qu’il mande à Lenet le 3 juillet : « Vous croyez bien que c’est avec un extrême déplaisir que j’ai appris par votre lettre du 27 juin les derniers emportemens des bourgeois de Bourdeaux les uns contre les autres, et que c’est une des choses du monde qui me donne le plus d’inquiétude. Il faut promptement y pourvoir de façon ou d’autre, et si, par négociation et par adresse ou autrement, on ne peut obliger l’Ormée à se contenir, il vaut mieux se mettre de son côté. C’est néanmoins un parti qu’il ne faut prendre qu’à l’extrémité ; mais, dans l’état présent des choses, je n’en vois pas d’autre à suivre après que tous les

  1. Il reste encore aujourd’hui une trace de ce quartier dans la rue du Fossé du Chapeau-Rouge.
  2. L’archevêché actuel, alors entouré de magnifiques jardins, ouvrage du cardinal Sourdis.
  3. Voyez deux pamphlets du temps, l’un, pour l’Ormée, Extrait de tout ce qui s’est fait et passé à Bourdeaux depuis le 29 juin touchant le parti des princes et celui des mazarins, sept pages in-4o ; l’autre contre l’Ormée, Journal de tout ce qui s’est fait et passé en la ville de Bourdeaux depuis le 24 juin jusqu’à présent entre les bourgeois et les ormistes, où il y a eu rude combat entre eux, etc., six pages in-4o. Voyez aussi le quinzième Courrier bourdelois, p. 5 ; le seizième Courrier bourdelois, p. 3 ; le dix-septième Courrier bourdelois, p. 5 et 6.
  4. Lenet, p. 550.