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avait lieu le 17 juin 1652, d’Harcourt faisait depuis quelque temps le siège de Villeneuve-d’Agen, défendue par le marquis de Théobon[1], qui lui opposait une résistance opiniâtre. Marsin, comprenant qu’après avoir perdu Agen, il fallait à tout prix sauver Villeneuve, courut lui-même à son secours, et fit passer le Lot à un petit corps de cavalerie qui se jeta heureusement dans la place ; mais déjà le comte d’Harcourt avait quitté son camp et pris une résolution extraordinaire. Après avoir si bien servi pendant tant d’années, et être entré si avant dans les intérêts de Mazarin qu’il avait consenti, comme nous l’avons rappelé, à escorter lui-même Condé prisonnier de Marcoussis au Havre, d’Harcourt n’avait reçu depuis longtemps ni nouvel avancement, ni faveur un peu considérable. Grand-écuyer de France depuis 1643, ses biens ne répondaient point à son rang. Le maréchalat n’ayant point paru une suffisante distinction pour un prince de la maison de Lorraine, il avait demandé sans l’obtenir le titre de maréchal-général, qui ne fut accordé bien plus tard qu’au seul Turenne. Sa conduite et ses succès en Guienne lui donnaient aussi l’espoir légitime qu’il en serait nommé gouverneur à la place de son illustre adversaire. Mazarin avait d’autres vues : il prétendit qu’il était de la dignité royale de rétablir l’ancien gouverneur, le duc d’Épernon, que Bordeaux avait chassé, et qui, ayant reçu en échange le gouvernement de Bourgogne, y servait utilement. Sous cet air de grande politique se cachait dans le cœur de Mazarin le secret désir de s’allier aux d’Épernon, comme il avait fait avec les Vendôme, en faisant épouser une de ses nièces à l’unique héritier de la puissante et opulente maison. D’Harcourt s’indigna de l’ingratitude du cardinal : voyant que toutes les grâces étaient pour les nouveaux amis, pour ceux qui avaient su se faire craindre, il crut qu’à son tour il fallait forcer Mazarin à compter avec lui. On lui avait refusé, à la mort du comte d’Erlac, le gouvernement de Brisach, qui, en se joignant à celui de Philipsbourg, qu’il avait déjà, lui aurait formé un grand établissement en Alsace : il lui passa par l’esprit de se faire justice à lui-même, et de saisir une occasion que lui envoya la fortune. Mazarin avait donné Brisach à Tilladet, beau-frère de Le Tellier. Tilladet trouva dans la place un officier, nommé Charlevoix, qui commandait à titre provisoire depuis la mort de d’Erlac, et y avait la plus grande autorité. Charlevoix, mécontent de n’être pas maintenu dans son commandement, se révolta contre le nouveau gouverneur et le chassa de la ville ; puis, fait prisonnier et conduit à

  1. C’était un gentilhomme protestant qui avait été en 1650 un des généraux de l’armée bordelaise. Il rentra plus tard au service du roi, et fut tué en 1672 au passage du Rhin.