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séparés, puisque M. de Longueville, irrité de tout ce qu’enfin il avait appris, rappelait sa femme avec menace en Normandie. C’est elle alors qui avait dû entraîner La Rochefoucauld ; il l’avait suivie par un reste de dévouement, mais sans conviction et avec une tiédeur qui avait blessé la sœur de Condé. Elle avait senti qu’elle n’était plus aimée à l’égal du modèle héroïque et tendre qu’elle avait rêvé, et qu’une lutte trop longue avec la fortune pesait à cette âme sans constance et sans force. De là aussi pour elle un moment d’erreur. L’amour affaibli et découragé l’avait livrée à sa coquetterie naturelle, et la coquetterie, animée par la politique, lui avait fait braver l’apparence d’une faute envers La Rochefoucauld et envers elle-même. Sans le moindre entraînement des sens ni du cœur, pour enlever le duc de Nemours à Mme de Châtillon et au parti de la paix, et l’engager dans celui de la guerre et de Condé, elle s’était un peu compromise, bien qu’aucun témoignage désintéressé et digne de foi ne permette d’affirmer qu’elle ait été au-delà d’une imprudence passagère[1]. Une explication loyale et affectueuse eût suffi à dissiper ce nuage, tel qu’il s’en élève parfois dans les unions les plus assurées : La Rochefoucauld en fit sortir une tempête qui, grâce à lui, a retenti jusque dans la postérité. Entraîné par un ressentiment implacable, il saisit ce prétexte avec un empressement à faire croire qu’il l’avait souhaité ; au lieu de dénouer, il rompt avec éclat, et, comme nous l’avons vu[2], il s’en va former à Paris une ligue honteuse avec Mme de Châtillon et son prétendu rival, le duc de Nemours, afin de ravir à la pauvre femme sa dernière consolation, l’estime et l’affection de Condé. Demeurée en Guienne, sans aucune grande et forte occupation, l’âme vide, mécontente des autres et d’elle-même, Mme de Longueville n’était plus la brillante guerrière de Stenay, mais elle se soutenait toujours par la dignité et la fierté, qui ne pouvaient pas l’abandonner : elle se proposait de rester jusqu’au bout fidèle à ce frère auprès duquel on la calomniait ; elle était décidée à tenir à Bordeaux aussi longtemps qu’il serait possible, sans reculer devant aucun des moyens que prescrirait la nécessité.

Mme de Longueville était appuyée dans le conseil par le président Viole, qui représentait en quelque sorte à Bordeaux ce qu’il y avait de plus vif et de plus avancé dans le parlement de Paris. Ardent et

  1. Bussi est le seul contemporain qui s’explique à cet égard avec la clarté cynique de l’Histoire amoureuse des Gaules ; mais qui peut prendre cette satire à la lettre ? Elle ne prouve qu’une chose, la triste publicité qu’avait reçue l’imprudence de Mme de Longueville des Mémoires de Là Rochefoucauld. Avant ces Mémoires, pas un mot nulle part sur ce point obscur ; depuis, Bussi s’est complu à répéter La Rochefoucauld, et Mme de Longueville est ainsi tombée dans la chronique scandaleuse.
  2. Voyez la Revue du 1er mars dernier, p. 199.