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ses avantages se réduisaient à la prise d’une bicoque qu’il ne pouvait pas même garder. Cette proposition n’ayant pas été acceptée, il se résolut à assiéger l’intrépide garnison. Il fit venir d’Agen quelques canons dont il se servit habilement ; mais bientôt les boulets manquèrent, et on était forcé de donner de l’argent à des soldats pour aller en ramasser dans les fossés. Champagne et Lorraine se défendirent avec leur valeur accoutumée. Cependant la brèche était ouverte, et Condé aurait fini par faire prisonnière cette précieuse infanterie, si d’Harcourt ne se fût empressé d’accourir au secours de Miradoux avec quatre mille chevaux. Le prince avait envoyé au-devant de lui Marsin et Balthazar pour lui disputer le passage de la Garonne ; ils ne purent l’arrêter, et à son approche Condé, reconnaissant qu’avec des troupes telles que les siennes il ne pouvait tenir tête à la fois aux vigoureuses sorties des assiégés et à l’excellente cavalerie de d’Harcourt, fut bien forcé de lâcher sa proie pour se retirer sur Estafort, et de là sur Agen.

C’est ainsi que Condé, avec des prodiges d’habileté et d’audace, et en payant toujours de sa personne, parvenait bien à électriser un moment ses soldats et à remporter quelque brillant avantage, mais sans être en état de mener à bien aucune entreprise considérable. De son côté, d’Harcourt, sans se montrer indigne de sa renommée, ne fit pas tout ce qu’il aurait pu faire, et il semble que lui-même ait un peu cédé à l’empire qu’exerçait sur tous les esprits la gloire de son incomparable adversaire. Plus d’une fois, en le poussant avec vigueur, il l’aurait pris ou détruit ; mais, redoutant toujours quelque manœuvre inattendue et sachant quelles inépuisables ressources M. le Prince trouvait dans son génie, il n’agit qu’avec une circonspection et une prudence souvent excessives. Par exemple, lorsqu’après avoir chassé Du Dognon de La Rochelle, il s’avança dans la Charente avec une très forte armée, il aurait pu aisément balayer devant lui Condé et le rejeter dans Bordeaux. Et encore, à la levée du siège de Miradoux, dans la retraite de Condé sur Agen, au lieu de s’amuser devant une petite ville telle que Le Pergan, il fallait suivre l’ennemi l’épée dans les reins, ne lui pas donner une heure de relâche, et l’écraser au passage de la Garonne[1].

C’est parmi ces succès, chèrement disputés et fort mêlés, comme on le voit, que Condé reçut à Agen des lettres de Paris qui lui apprenaient la situation de l’armée de la Loire et celle de la capitale.

  1. La Rochefoucauld relève judicieusement ces fautes de d’Harcourt et plusieurs autres, et il est ici probablement l’écho de ce qu’il a entendu dire à Condé. — La Rochefoucauld, ibid., p. 107-108, etc.