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REVUE. — CHRONIQUE.

de paraître et dont le succès va toujours croissant, on a repris au théâtre de l’Opéra-Comique un des meilleurs ouvrages de M. Auber, Fra-Diavolo. C’est M. Montaubry qui joue le rôle principal, et franchement il ne s’y est pas révélé sous un jour beaucoup plus avantageux que dans les Trois Nicolas. M. Montaubry chante et joue avec une afféterie de mousquetaire vainqueur qui a pu séduire le public de Bruxelles ou de Strasbourg, mais qui n’a pas chance de réussir à Paris. Nous engageons M. Montaubry à se préoccuper sérieusement de sa tenue, de son style, qui manque de naturel et de variété, et de la souplesse de son organe, qui ne semble pas avoir été soumis à des études régulières de vocalisation. Après Fra-Diavolo, qui attire beaucoup de monde, on a donné un opéra-comique en un acte assez gai, le Diable au Moulin, dont le succès relatif est dû à la manière leste dont il est joué par M. Mocker et Mlle Lemercier. La musique du Diable au Moulin, proprement écrite, est de M. Gevaërt. Quand M. Gevaërt aura une idée musicale, j’irai le dire à Rome.

À l’Opéra, où l’Herculanum de M. Félicien David se soutient avec honneur, quelques débuts ont eu lieu, parmi lesquels je ne citerai que celui de Mlle Csillag, cantatrice hongroise, qui a fait les beaux jours du théâtre de Vienne. Mlle Csillag a une belle voix de mezzo-soprano étendue et d’un timbre vigoureux ; elle chante avec chaleur, mais sans distinction, et si elle est destinée à se fixer à Paris, elle devra beaucoup apprendre et beaucoup oublier.

Les concerts ont été nombreux et très intéressans cette année. Nous les avons suivis d’une oreille attentive. C’est M. Duprez, avec sa brillante école, qui a clos la saison. Nous parlerons de tout cela. p. scudo.



ACADEMIE FRANÇAISE. — RÉCEPTION DE M. JULES SANDEAU.


Un intérêt tout particulier s’attachait à la réception de M. Jules Sandeau. La gloire si pacifique, si enviée cependant de l’élection académique, accueillait cette fois un écrivain charmant, sympathique à tous, soigneux de son talent, expert enfin dans l’art de bien dire et de bien penser, et ce légitime honneur avait cela de complet et de rare, qu’il s’adressait uniquement au mérite littéraire. Ce choix rassurait en même temps ceux qui craignaient que les portes de l’Académie ne voulussent point s’ouvrir à cette forme de la pensée, qui est l’originalité et la gloire de notre siècle, le roman. Ces craintes n’offraient-elles pas quelque apparence de solidité ? Jusqu’alors, ainsi que l’a dit M. Vitet avec cette parole fine et ferme qui n’appartient qu’à la raison, jusqu’alors le roman ne s’était introduit à l’Académie qu’à la suite et sous l’abri d’autres œuvres estimées moins légères. Aujourd’hui enfin le roman faisait à l’Institut une brillante entrée, apportant avec lui ses droits et ses devoirs, ses pittoresques descriptions, son dialogue moins vif, mais plus large que celui de la comédie, ses éloquens plaidoyers, son impitoyable analyse des sentimens les plus délicats comme des passions les plus vives. Enfin il a pris rang officiel au milieu des grandes expressions de l’intelligence, en présence d’une assemblée impatiente et charmée, attentive à la voix émue