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tribun passionné, nous ne comprenons pas l’ivresse que la guerre inspire à M. Kossuth. Comment les apôtres des nationalités me sont-ils pas frappés de l’inconséquence qu’ils commettent en confiant à la guerre le succès de leur cause ? De quoi se plaignent-ils ? De ce que la carte actuelle de l’Europe n’est point tracée conformément à la distribution des races et des langues sur les territoires ; mais pourquoi en est-il ainsi ? C’est que les traités qui ont dessiné la carte actuelle ont été faits après la guerre, qu’après la guerre les considérations stratégiques sont celles qui dominent dans les délibérations des puissances, et que les vainqueurs qui sont la force y placent nécessairement l’intérêt de leur sécurité et de leur prépondérance militaire au-dessus d’idées et de sentimens que les guerres opiniâtres oblitèrent toujours. Il en sera inévitablement de même à la fin de toute guerre prolongée, et c’est pourquoi on ne peut trop s’étonner de l’aveuglement de ces défenseurs des nationalités qui, comme M. Kossuth, appellent de leurs vœux et attisent de leurs efforts, la guerre universelle.

L’Angleterre n’avait, croyons-nous, aucun besoin des exhortations que M. Kossuth vient de lui adresser ; nous avons expliqué les raisons pratiques qui détournent les Anglais de toute guerre qui ne leur serait point imposée par la nécessité. Les politiques intelligens comprennent de l’autre côté de la Manche que la neutralité n’est point pour l’Angleterre l’abdication de la légitime influence qui lui appartient dans les affaires générales de l’Europe. Quand la guerre aura mûri les nouvelles destinées de l’Italie, et ce moment arrivera vite si la France obtient les succès que son armée lui donne le droit d’espérer, cette influence aura lieu de s’exercer, car les neutres auront, autant que les belligérans, à participer au règlement des nouvelles questions italiennes. Si l’Angleterre parvient alors à se mettre d’accord avec la Prusse et la Russie, l’intervention des trois puissances neutres, intervention qui sera précieuse aux belligérans, car elle secondera la modération du vainqueur et la dignité du vaincu, rendra la paix à l’Europe. Il y a là un grand rôle à jouer pour la diplomatie anglaise, et nous souhaitons sincèrement qu’elle y trouve l’occasion de réparer ses mésaventures récentes. Il ne faut pas croire sans doute que la sincérité de l’Angleterre dans sa neutralité pacifique ne se puisse concilier avec les préoccupations que trahissent ses armemens. La guerre, il s’y faut résigner, est contagieuse de sa nature. Quand de grandes puissances se battent, le mal des armemens militaires gagne sur-le-champ tous les autres peuples. C’est ce qui arrive à l’Angleterre. L’épidémie militaire y prend même aujourd’hui une forme qui intéresse l’observateur par la nouveauté. Ordinairement, chez tous les peuples, des questions d’armemens sont provoquées et déterminées par l’état. Sur ce point au contraire, l’initiative du public prend aujourd’hui chez nos voisins les devans sur celle de l’état. Dans tous les comtés et dans toutes les villes, des corps spontanés de volontaires, des clubs de riflemen s’organisent. C’est comme une immense garde nationale qui se lève spontanément elle-même sans attendre la sanction et les règles de la loi. Au lieu de soumettre à une discipline légale ces tirailleurs de Vincennes, ou ces Tyroliens de bonne volonté dotant l’Angleterre d’un corps de chasseurs qui se compteront peut-être avant peu par centaines de mille, le gouvernement se borne à leur donner des conseils sur leur formation en compagnies et à leur fournir