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d’un repos stable, d’une paix solide et durable, que de se liguer pour conquérir l’état de Milan, et l’enlever aux mains de ceux qui en abusent pour opprimer les habitans, sa majesté veut de bon cœur contribuer avec ses forces à l’accomplissement d’un si juste dessein. » La même idée était revenue un instant, il est vrai, dans une négociation secrète qui coïncidait avec l’ouverture de la succession d’Espagne. C’étaient toujours les mêmes conditions : le duc de Savoie aurait le Milanais, et il céderait la Savoie à la France. Une lettre de Victor-Amédée au comte de Vernon, son ambassadeur à Paris, révèle et précise cette négociation. Ce projet disparut. Au lieu de s’assurer un allié vigoureux et intéressé à la défense de la cause commune, Louis XIV n’eut qu’un allié suspect. On ne fit même rien pour retenir Victor-Amédée. Les généraux français, divisés entre eux, méconnaissaient son autorité de généralissime. Villeroi, l’habile tacticien qui allait se faire prendre à Crémone par le prince Eugène, affectait de n’appeler le duc que Monsieur de Savoie. On le traitait comme un capitaine d’aventure. Lorsque Philippe V alla en Italie, ce fut une grande question de savoir si Victor-Amédée avait le droit de souper avec son gendre, et de s’asseoir comme le roi sur un fauteuil. L’étiquette fut contre lui, et il se retira blessé dans sa dignité. Avec une sorte de négligence calculée, Victor-Amédée demanda à ne pas aller se remettre à la tête de l’armée ; on se hâta de le laisser libre, sans paraître attacher du prix à ses services. Par le fait, Louis XIV craignait, de voir un prince italien acquérir du renom et du prestige en Italie.

La France avait cependant à cette époque à Turin un ambassadeur, Philippeaux, qui ne manquait pas de clairvoyance et qui jugeait bien autrement. Il ne cessait d’écrire à Versailles qu’on avait tort de ne pas s’attacher le duc de Savoie et de ne pas satisfaire son ambition, que c’était l’homme le plus résolu et le plus actif qu’il eût connu, obéi avec enthousiasme dans son pays, ayant une bonne et solide armée, qu’il avait montré dans la guerre de 1690 ce qu’il pouvait et ce qu’il valait. Philippeaux se plaignait qu’on eût permis au duc d’abandonner le commandement des armées pour rester à Turin, où il pouvait plus aisément se livrer à toutes ses menées secrètes, se faisant un mérite de son inaction auprès de l’empereur. Louis XIV finit par se fatiguer des remontrances et des conseils de Philippeaux, qui fut réduit à terminer une de ses dépêches par ces mots : Qui vult decipi decipiatur. Victor-Amédée était laissé à, lui-même, et c’était ce qu’il voulait pour le moment. Pendant ce temps en effet, il se tournait vers la coalition. Dès les premiers momens de la guerre, il faisait dire à l’empereur qu’il ne cédait qu’à la nécessité en se liant avec la France, et son ambassadeur,