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à ses ambassadeurs à la cour de Vienne le traitement des ambassadeurs royaux ; il obtenait de l’empereur le droit d’acquérir les fiefs impériaux qui étaient dans ses états. On était à la veille de la guerre.

L’évolution avait commencé. Louis XIV ne tarda pas à remarquer ce travail sans en pénétrer entièrement le secret. Il voulut mettre Victor-Amédée à l’épreuve en lui demandant trois régimens pour aller servir en Flandre avec l’armée française ; la cour de Turin envoya ses hommes. Bientôt les soupçons s’accrurent à Versailles, et Louis XIV, au lieu de chercher à s’assurer un allié utile, voulut avoir raison de ce petit duc ; il fit marcher une armée avec Catinat à la tête. Catinat s’avançait pas à pas et en ami sans dire le mot de sa mission. Arrivé à Orbassano, il dévoila son secret. Ce que réclamait la France comme gage de la fidélité du duc, c’était la cession de deux forteresses, de Turin et de Verrue, pour assurer les communications entre Pignerol et Casale. La cour de Turin fut consternée. Céder, c’était livrer à merci l’indépendance du Piémont. La fierté de race et le sentiment patriotique l’emportèrent en face du péril. « Depuis longtemps, dit Victor-Amédée, on m’a traité en vassal, aujourd’hui on me traite comme un page ; le moment est venu de se montrer prince libre et honoré. » Le difficile était de gagner du temps. Victor-Amédée suspendit la marche de Catinat en écrivant à Louis XIV et en envoyant un ambassadeur extraordinaire à Versailles. D’un autre côté, il faisait venir l’abbé Grimani, qui était resté à Turin, pour se lier définitivement avec l’empereur, et il expédiait un agent à Milan pour signer une alliance offensive et défensive avec l’Espagne. Lorsque la réponse de Louis XIV arriva à Turin, Victor-Amédée était prêt ; huit mille Espagnols accouraient de Lombardie pour soutenir le Piémont. Le jour où l’ultimatum français fut remis, le duc fit ouvrir les portes de son palais, et d’une voix grave et ferme il annonça qu’il avait résolu de défendre son droit par les armes. « Les armées alliées, dit-il, viennent à mon secours : mais plus que sur leurs forces je compte sur la valeur et le dévouement de ma noblesse et de mon peuple. À cette valeur et à ce dévouement les princes de Savoie n’ont jamais fait appel en vain. » Cette résolution virile retentit en Italie et même à Rome. Elle remplit de joie les alliés, elle donnait un ennemi de plus à Louis XIV. C’est ainsi que Victor-Amédée Il entrait dans la guerre de 1690, qui était pour lui avant tout une guerre d’indépendance.

La campagne commença mal. Le système de guerre suivi dans le Palatinat se reproduisait au pied des Alpes. Dès le début, la ville de Cavour fut saccagée et la population livrée à la fureur du soldat. « On passa au fil de l’épée tout ce qui se présenta, » dit Catinat, le plus humain des généraux du temps. La bataille de la Staffarda, où