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doit suivre certain voyage projeté, et celui-ci exécuté, il est à craindre qu’un autre voyage ne vienne prolonger encore l’odyssée de l’aventureux chercheur d’or. Pour Filippo, la première amnistie accordée par l’Autriche l’a ramené à la ferme, au milieu de ses autres frères, réunis sous la direction de Pietro. Ils sont restés garçons, et ils se proposent de demeurer tels jusqu’à leur dernier jour pour ne pas faire tort à leurs neveux.

Depuis le mariage de Pietro et de Rachel, pas un nuage n’a troublé la sérénité de leur union. Les vieux voisins de la ferme des Huit-Tours croient voir revivre M. et Mme Stella dans le jeune couple, tant Rachel est soumise et Pietro affectueux. Leurs affaires prospèrent, et Pietro se flatte de pouvoir assurer l’avenir de sa nombreuse famille, comme le brave missée avait assuré le sien et celui de ses frères. Rachel est encore belle, quoique déjà entourée d’enfans. Mme Stella la douairière vit et gouverne toujours. Philomène a épousé un jeune fermier des environs. Pietro ne désire que la prolongation de son bonheur, car Rachel lui a tenu parole, et le moindre doute n’est jamais venu se placer entre les deux époux. Il se sent complètement, parfaitement aimé, et il s’est donné lui-même en échange de cet amour. Quant à ses opinions politiques, elles ont passé par différentes phases, et elles ne ressemblent plus guère maintenant à celles du vieux fermier. Il se persuada en premier lieu que, pour avoir un avis à soi en pareilles matières, il fallait nécessairement avoir fait de profondes études, et qu’un villageois ignorant comme lui devait s’interdire toute pensée de ce genre. Petit à petit pourtant le bruit de certaines mesures adoptées par le gouvernement autrichien arriva jusqu’à la ferme, et révolta son cœur et sa conscience de chrétien. Pietro alors se permit le blâme, mais seulement vis-à-vis des agens secondaires de l’état, et il plaignit le souverain qu’on rendait responsable de tant d’iniquités. Filippo cependant a entrepris de prouver à son frère que le monarque n’était pas aussi étranger qu’il le croyait aux actes de ses ministres. Forcé de se rendre à l’évidence en lisant les dernières ordonnances du gouvernement impérial sur la conscription, sur les monnaies, sur l’organisation des médecins de campagne, Pietro a soupiré et s’est rendu. Il n’est ni ne sera jamais un conspirateur; mais il aime, il plaint son pays, il voudrait le voir libre et heureux. — Jamais je ne lèverai la main contre mes compatriotes, disait le brave fermier il y a peu de mois encore. Si jamais je les vois attaqués, n’importe par qui,... sur mon âme, je les défendrai.


Cependant, dès les premiers jours de 1859, des bruits singuliers