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ma propre fille, que ton père préférait à son propre sang! Elle est donc folle, ingrate, méchante?

— Paix! ma mère! ne l’accusez pas ainsi. — Et Pietro plaida la cause de sa cousine avec toute la chaleur d’une grande âme incapable d’Injustice; mais Mme Stella l’écoutait à peine. — Refuser un de ses fils, son premier-né, le successeur et l’héritier de son père, le plus beau jeune homme du pays! Sur qui donc portait-elle ses prétentions? Sur le fils de l’archiduc? — Et la bonne femme rejetait tout le mal sur la politique, qui avait, disait-elle, tourné la tête à sa nièce. Ce ne fut pas sans difficulté que Pietro reprit la parole. — Rassurez-vous, ma mère; il n’y a point de politique dans tout ceci. Il n’y a qu’un amant préféré, et cet amant est mon frère Paolino. Je ne saurais m’étonner ni me plaindre du choix de Rachel; je ne puis que m’en affliger.

Presque tout le courroux de Mme Stella contre Rachel s’évanouit quand elle connut le nom de celui qu’elle aimait, et son amour-propre maternel se sentit soulagé en pensant que l’un de ses fils pouvait seul avoir été préféré à l’autre; mais ce soulagement passager fut suivi d’un redoublement d’inquiétude. L’harmonie allait-elle disparaître de sa famille? La paix et l’amour fraternel feraient-ils place à la jalousie et à la discorde? L’expression de douce tristesse qui régnait sur la physionomie de Pietro la rassura. Un sentiment d’ineffable tendresse pour cet enfant dédaigné envahit alors son cœur maternel, et, jetant ses bras autour du cou de son fils, elle cacha son visage contre sa poitrine sans pouvoir prononcer un seul mot. Après un long silence, elle retrouva enfin la parole, et ce fut pour adresser à Pietro de nouvelles questions : — Depuis quand cet amour dure-t-il? Conte-moi tout, mon enfant bien-aimé. Pietro obéit et lui expliqua toutes les circonstances qui avaient transformé en certitude ses soupçons sur la nature du sentiment que Rachel éprouvait pour Paolo. Il ajouta, prévenant une question de la fermière, qu’il n’avait qu’une seule fois parlé à Rachel de Paolo et de son propre amour depuis la mort de son père. C’était le lendemain des funérailles. Il lui avait dit, au retour du cimetière, d’être sans inquiétude, qu’elle ne serait jamais tourmentée à cause de lui; elle avait répondu qu’elle en était sûre, et c’était tout. — Plus d’une fois, continua-t-il, je fus sur le point de la questionner sur ses projets, de lui parler de son avenir; mais... Le courage m’a toujours manqué.

Mme Stella proposa alors à son fils de se charger de ce soin, et Pietro accepta cette offre avec reconnaissance, à la condition qu’elle n’adresserait à Rachel aucun reproche. Mme Stella, quoiqu’à contre-cœur, s’y engagea, et Pietro lui expliqua alors quels étaient ses projets à l’égard des deux amans.