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en pensant à lui, un sentiment de timidité mêlé de respect qui ne ressemblait en rien à la familiarité légèrement dédaigneuse qu’elle lui avait témoignée jusque-là.

Mme Stella pourtant, qui avait soigné son fils avec toute la tendresse d’une mère qui n’a plus dans ce monde d’autre amour que l’amour maternel, Mme Stella, qui avait trouvé tout naturel que Pietro exposât sa vie pour défendre l’honneur de sa fiancée, ne s’expliqua point aussi facilement l’attitude que gardaient vis-à-vis l’un de l’autre les deux fiancés. — Pourquoi Rachel ne demeurait-elle auprès du blessé qu’en compagnie de ses cousines, de ses cousins ou d’elle-même? Pourquoi Pietro ne se plaignait-il jamais de cette extrême réserve? Et surtout pourquoi ni Pietro ni Rachel ne faisaient-ils jamais allusion à leur prochaine union? — Mme Stella avait essayé plus d’une fois de les amener sur ce terrain. Plusieurs tisserands du village s’étaient recommandés à elle pour fournir la toile du trousseau. Rachel achèterait-elle sa robe de soie à Milan ou à Pavie? Quelle chambre le jeune ménage occuperait-il? — Rien des questions de ce genre étaient demeurées sans réponse, ou n’avaient reçu que des réponses évasives et embarrassées. Cette étrange conduite causait de tristes préoccupations à la fermière. Elle se rappelait que, pendant les jours qui avaient précédé son mariage avec M. Stella, sa conduite et celle de son fiancé ne ressemblaient aucunement à celle de Pietro et de Rachel. Le monde était sans doute bien changé depuis sa jeunesse, mais pouvait-il l’être à ce point?

Un soir qu’assise au chevet de Pietro, Mme Stella tricotait une paire de gros bas destinés au convalescent, ses doutes la pressèrent à tel point qu’elle ne put se défendre d’en parler à son fils. — Pietro, lui dit-elle, voudrais-tu m’expliquer quelque chose qui me tourmente singulièrement l’esprit? Que se passe-t-il entre toi et Rachel?

— Mais... rien, ma mère.

— Rien! cela n’est pas possible.

Et Mme Stella apprit à son fils que les jeunes gens et les jeunes filles qui s’aimaient d’amour le témoignaient d’une autre façon. Pietro, après quelque hésitation, comprit qu’une explication était inévitable; il répondit gravement : — Chère mère, ce que vous dites est très juste lorsqu’il s’agit de deux amans, qui ont bien des choses à se dire; mais telle n’est pas notre position à Rachel et à moi!

— Comment! N’aimerais-tu pas Rachel malgré le commandement de ton père, malgré sa dernière volonté?... Ah! Pietro, pouvais-je m’attendre à cela!

— J’aime Rachel, je l’aimais avant de connaître la dernière volonté de mon père; c’est son amour à elle qui ne m’appartient pas.

— Rachel, ne pas t’aimer! Rachel que j’ai toujours traitée comme