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de Marie, et se sentait soulagée. Un soir que ses prières l’avaient retenue plus longtemps que d’habitude, l’obscurité était déjà presque complète lorsqu’elle prit le sentier qui conduisait à travers champs jusqu’à la ferme. La soirée était belle, comme le sont dans nos climats méridionaux toutes les soirées d’automne, car on était alors en octobre, et rien n’annonçait encore le prochain hiver. Les arbres avaient conservé toutes leurs feuilles, et les prés, constamment arrosés, leur fraîche verdure[1]. L’air était doux, quoique un peu vif. La lune dans son plein brillait à travers les saules qui bordaient les sentiers, tandis qu’une eau paisible, destinée à arroser les campagnes environnantes, coulait doucement sous les arbres. De larges nappes d’eau couvrant les champs de riz apparaissaient de distance en distance. Rachel devait traverser l’un de ces champs de riz pour atteindre sa demeure; mais ce passage ne l’inquiétait pas, accoutumée qu’elle était à marcher sans crainte le. Long des petites chaussées en terre qui entourent les rizières, et qui servent à la fois de limite aux champs et de digue aux eaux. Elle allait poser le pied sur l’un de ces aqueducs en miniature, lorsque deux hommes portant l’uniforme de la police autrichienne parurent à un tournant du sentier et lui firent signe de s’arrêter. Rachel obéit tremblante; elle savait quels bruits les paysans faisaient courir sur son compte, et elle crut dangereux de les justifier en résistant à un ordre donné par des agens du gouvernement impérial. Presque aussitôt cependant elle put reconnaître que les sbires n’avaient d’autre intention que de l’insulter lâchement. Les réponses timides qu’elle fit à leurs questions brutales ne les désarmèrent pas. L’un de ces misérables la prit par la taille, l’autre lui saisit les bras ; mais Rachel se débattait avec l’énergie du désespoir, et tandis que cette lutte inégale se prolongeait, les cris qu’elle poussa furent entendus de Pietro, qui venait en ce moment même à sa rencontre. En quelques bonds, le robuste fermier fut devant Rachel et ses agresseurs. Il n’avait point d’armes, car la loi martiale punissait de la peine de mort ce qu’on appelait la détention d’un canif ; mais les coups d’un bâton à pomme de plomb rudement assenés sur les épaules de l’un des assaillans, sur la tête de l’autre, leur eurent bientôt fait lâcher prise, et Rachel se trouva libre. Cédant aux instances du jeune fermier, elle courut donner l’alarme à la ferme. Quand elle revint, suivie de Cesare et de quelques paysans, le combat durait encore. Pietro se défendait avec

  1. Même après la moisson, les plaines cultivées de la Lombardie ne présentent jamais le triste aspect que revêt dans des contrées moins fertiles la terre dépouillée de sa riche parure. Une culture nouvelle remplace aussitôt le produit récolté, et loin de reposer une année sur trois, les champs de la Lombardie fournissent au cultivateur jusqu’à trois ou quatre récoltes par an. Pour entretenir la fertilité de cette terre fortunée, le repos est superflu, la variété du travail suffit.