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vivante. Ses fautes mêmes sont des traits qui peignent l’époque. Quarante années auparavant, Klopstock avait donné sous le même titre une espèce d’oratorio solennel ; la Bataille d’Hermann d’Henri de Kleist fait comprendre les colères qui grondaient déjà dans bien des cœurs, et qui allaient faire quelques années plus tard une si tumultueuse explosion.

La pièce, on le pense bien, ne fut pas représentée en 1808 ; elle ne fut même imprimée qu’après la mort de l’auteur, mais elle circula de main en main, et peut-être a-t-elle contribué à soulever les fureurs nationales. L’année suivante, l’Autriche prend les armes, le Tyrol est en feu, et Kleist, impatient de se mêler à la lutte, va s’établir à Prague. Là, il fait des vers comme en feront en 1813 les Schenkendorf et les Kœrner, pour appeler l’Allemagne entière au combat. On dirait un auxiliaire du baron de Stein, mais le baron de Stein ne le connaissait pas, sa voix se perdait dans le tumulte ; les efforts qu’il faisait pour combattre sa folie en se dévouant à une noble cause n’obtinrent pas la récompense que recueillirent quatre ans plus tard des poètes moins éprouvés que lui. Ne semble-t-il pas qu’une destinée fatale le poursuive ? Revenu en Prusse après la fin de la guerre, il lisait un jour à la sœur de Wilhelmine de Zenge quelques-unes des strophes guerrières qu’il avait fait imprimer à Prague. « Les beaux vers ! s’écria la jeune femme ; de qui sont-ils ? » Ces mots le frappèrent au cœur. « Malheureux que je suis ! disait-il avec un abattement désespéré ; tout ce que je fais est donc vain ! Personne au monde ne me connaît ! » Ajoutez à ces souffrances de l’amour-propre le sentiment toujours plus amer des calamités publiques. La paix de Presbourg lui parut le déshonneur de l’Allemagne. C’est alors qu’il composa sa dernière œuvre, l’une des plus intéressantes qu’il ait écrites, le drame patriotique et guerrier intitulé le Prince de Hombourg.

Je disais tout à l’heure, à propos de la Bataille d’Hermann, que la trahison du général York en 1812 semblait prévue et glorifiée d’avance par le poète de 1808. On sait que le 27 septembre 1812, le général York, placé avec ses régimens sous le drapeau de Napoléon et attaché au corps d’armée du maréchal Macdonald, se décida à passer subitement du côté des Russes. « Si j’ai tort, écrivait-il au roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, je vous livrerai sans murmure ma tête blanchie ; pour moi, ma conscience est tranquille. » Ces questions de la conscience militaire occupaient beaucoup Henri de Kleist. Il devait s’être dit plus d’une fois : « Ces colonels, ces généraux prussiens, hanovriens, bavarois, saxons, wurtembergeois, qui commandent des soldats allemands au service de la France, seraient-ils coupables, si, désobéissant à leurs souverains, ils passaient au camp ennemi ? Seraient-ils des traîtres en vérité, s’ils comprenaient mieux